ENTRETIEN N°3 ~ CHARLY

mise en situation

Le candidat a été convoqué au confessionnal une demi-heure plus tôt. On lui a bandé les yeux et on l'a conduit jusqu'à une porte qu'il n'a eu qu'à ouvrir, puis on l'a fait entrer en la refermant derrière lui. Les yeux maintenant découverts, le candidat se trouve alors dans un petit vestibule, tandis qu'on lui a préalablement indiqué de se diriger vers les rideaux qui lui font face et de pénétrer à l'intérieur de l'espace qu'ils cachent, à savoir un petit cabinet victorien où le chroniqueur l'attend.

Aujourd'hui, Alfie recevait un nouveau candidat dans son cabinet, et il ne pouvait que se demander où se placerait cet entretien sur l'échelle de la commodité. Il y avait eu Aston, dont l'entretien arrivait sans mal tout en haut de cette échelle, lui qui ne s'était pas fait prier pour coopérer efficacement et qui lui était apparu comme l'hôte idéal en soi. Et puis il y avait eu Aoife, dont l'entretien pouvait difficilement se trouver ailleurs qu'en bas de l'échelle, elle qui s'était pour le moins faite désirer et n'avait franchement pas fait en sorte de lui faciliter la tâche. Alors, qu'en serait-il de Charly ? Ce blond bizarrement coiffé lui ferait-il l'honneur de marcher sur les pas d'Aston, idole officielle d'Alfie, en ayant l'amabilité d'aller dans son sens et de lui donner matière à bien faire son boulot ? Ou, au contraire, déciderait-il de plagier Aoife et sa passivité, au point de laisser penser à Alfie qu'il faisait équipe avec la diabolique rouquine dans l'espoir de le rendre dépressif ? Beaucoup de questions se chamaillaient dans son esprit, et c'est justement au moment où il en vint à se demander s'il ne ferait pas mieux d'opter pour une décoration moins désuet pour mettre en confiance ses invités, qu'il vit apparaitre Charly, grand blond de son état, à travers les rideaux du cabinet. « Bienvenue dans mon antre, jeune homme ! Oui, je sais, tu es impressionné. Qui est donc cet être incroyablement charismatique, juste en face de toi ? Et bien, rassure-toi, je fais souvent cet effet. Néanmoins, si l'émotion venait à te déstabiliser au point de te rendre malade, vu que j'ai cru comprendre que t'étais une petite nature, tu serais mignon de ravaler ta gerbe, hm, c'est que je tiens pas mal à mon tapis directement importé de Turquie, tu vois. » Non pas qu'il veuille autant chipoter là dessus que sur son vase Ming, mais il est vrai qu'il aimait les belles choses et surtout les garder en très bon état. Il fit en tout cas quelques pas à travers la pièce et hésita à lui proposer à boire, doutant subitement de l'âge de son invité. C'est qu'il faisait jeune, le Charly, mine de rien. Le gin, du coup, il hésitait pour l'instant à le lui proposer. « Mais je dois t'avouer que cette invitation était un peu intéressée, et ce pour deux raisons. La première, c'est que j'ai besoin de quelqu'un pour emballer le cadeau d'anniversaire de ma fille. Je me connais, moi et mes deux mains gauches on risque de merder quelque part. Et la seconde, c'est que j'ai besoin de faire passer un message à Aoife. J'ai toujours fait confiance aux blonds, parce que tu ne pourrais pas avoir cette couleur de cheveux et en plus être un couillon, tu vois, moi je refuse d'y croire. » Non mais, il n'avait rien contre les blonds en soi, c'est juste qu'il préférerait se teindre les cheveux en mauve plutôt que d'échanger avec Charly, quoi. « Mais bon, puisque t'es là, je vais quand même m'intéresser à ton aventure, hein, ne t'inquiète pas. Faut juste pas t'attendre à ce que j'ai l'air passionné par ce que je raconte, c'est tout. » Et après, il se demandait pourquoi les gens le portaient si peu dans leur cœur, hm.

Conduit par des gaillards vers le bureau de son bourreau à cause d’un bandeau qui lui gâchait la vue, Charly avait la nette sensation d’aller à l’abattoir. Du moins la mise en scène s’y prêtait. Ils avaient tendance à trop perdre la vue dans ce jeu. Entre la salle obscure, la soirée nocturne et cette pratique mystique il avait comme l’impression que ce n’était pas fini. Soit, ses yeux bleus reprenant de leur activité, Charly se trouva face à des rideaux. Par déduction il s’avança, puisque faire demi-tour semblait être interdit, tandis qu’une voix d’homme l’invitait à prendre place. A peine eut-il pénétré dans la pièce dont la décoration n’était pas du tout à son goût qu’il fut assailli par un flot de paroles incroyable. On sentait bien là que le mec n’avait qu’une visite par semaine et que ça en résumait sa vie sociale. Le type qui se tenait en face de lui était le stéréotype du genre de personne que Charly portait en horreur. Pète sec, cassant, arrogant et qui semblait en plus appartenir à ce milieux que Charles, de son vrai prénom, avait tenté de fuir toute sa vie. Le chroniqueur fit référence à ses soucis de santé lors de la première semaine, ce qui au fond faisait bien rire le grand blond qui avait constaté que bon nombre de ses camarades s’étaient retrouvés cloués au lit la semaine passée. Plutôt que de se préoccuper de son tapis il ferait mieux de se concentrer sur les réelles intentions du fameux Maître. Analysant la pièce, il s’approcha d’un meuble dont il s’empara d’une babiole afin de l’analyser de plus prêt tandis que le chroniqueur n’avait toujours pas repris son souffle. « Tout ça pour te vanter d’avoir importé ton tapis de Turquie ? » Pourquoi faire long et compliqué lorsqu’on pouvait faire court et précis ? Il reposa la babiole qu’il décréta inintéressante et s’assit sur le siège invité, n’attendant aucunement qu’on l’invite à prendre place. Il sentait ne pas être le bienvenue, il n’y avait donc aucune raison de se tuer en bonne manières pour cet Alfie. L’anglais ne s’y trompait pas puisque le grand brun lui avoua que son invitation était intéressée. Et quel intérêt. Le mec le faisait venir pour faire un papier cadeau. Un putain de papier cadeau. Il pouvait aller se faire foutre. S’il avait été aimable il aurait eu plus de chances de voir son souhait s’exaucer mais y avait pas marqué pigeon sur son front. Charly n’avait déjà pas réagit lorsque Davia l’eut prié d’aller lui chercher un verre lors de la soirée nocturne alors il n’allait pas se donner du mal pour Alfie. Après avoir attribué mentalement la notion de « supra-confortable » au siège du monsieur, il s’adressa au chroniqueur dans un calme légendaire après cette seconde agression à coup de monologue. « Ouais, blond et con ça fait beaucoup pour un seul homme. C’est quoi ton message pour ton crush ? Enfin, Aoife. » Il était intimement convaincu que le Ripley avait flashé pour elle. Le mec avait l’air de faire son boulot à contrecœur. Disons qu’il semblait prendre plus de plaisir à balancer son venin à coup de remarques disciplinées plutôt qu’à faire son job. Si ce n’était que ça, il n'allait pas le déranger plus longtemps. « T’es pas obligé de te forcer, je peux aussi faire demi-tour en complimentant ton tapis. Même si entre nous j’vois pas la différence entre un tapis turc et un tapis de gitan. T’es sûr que c’en est pas un ? » Il le questionnait avec tout le sérieux du monde, s'étant retourné pour visualiser une nouvelle fois le tapis. Turc ou gitan il trouvait ça horrible alors l'un dans l'autre il s'en foutait royalement. Alfie peut-être un peu moins.

Alfie avait toujours eu conscience d'une chose : il faisait souvent mauvaise impression. Son air arrogant jouait en sa défaveur, et on lui trouvait généralement beaucoup trop de prétention pour être appréciable. Simplement, il s'était toujours fort bien accommodé du point de vue des autres, tout simplement parce qu'il n'avait jamais ressenti le besoin de changer, lui qui estimait qu'il n'avait pas à le faire en soi. Il se plaisait tel qu'il était, et même s'il était très certainement le seul à se supporter, il n'en était que plus fier encore, dans un sens. Alors nul doute qu'il ne ferait pas d'efforts particuliers avec Charly, pour n'en avoir pas fait avec ses deux précédents invités. Alfie ne pouvait toutefois pas prétendre l'avoir suffisamment observé  pour savoir comment il était susceptible de réagir à sa façon d'être, car c'était toujours plus ou moins virulent. Il y avait ceux qui ne se gênaient pas pour lui dire d'entrée de jeu qu'il ne se prenait pas pour de la merde, ceux qui le jugeaient plus intérieurement et lui servaient ça à point nommé, et ceux qui s’accommodaient aisément de ce qu'il était. Mais à en juger par la réaction du blond suite à sa première prise de parole, nul doute qu'il n'était pas de cette troisième catégorie. « Non, tout ça pour t'assurer que je comprends que cette illustre apparition te trouble au plus haut point. Mais c'est vrai qu'il aurait été dommage de ne pas en profiter pour glisser quelques mots au sujet de ce ravissant tapis, importé de Turquie, donc, oui. J'y ai passé des vacances mémorables en 98. T'étais né, toi, en 98 ? » Oui bon, encore une fois, il n'était pas certain de l'âge de son hôte. Parce que oui, comme l'avait subtilement souligné Aoife la dernière fois, il se foutait pas mal de ce genre de détails. C'était juste un peu embêtant dans ce genre de situations, mais le reste du temps, vraiment, il s'en foutait pas mal. Quant au reste, il ne sut pas quoi penser du fait que Charly ne rebondisse pas au sujet du paquet cadeau. Parce qu'autant dire qu'Alfie était sérieux dans cette requête, comme dans la seconde, que le blond releva, entre autres choses. « Voilà, je n'aurais pas mieux dit. Et, oula, Aoife n'est pas mon crush ! Mais elle a complètement flashé sur moi, c'est évident. Tiens, quand elle s'est adressée à la caméra hier soir, j'ai bien vu toute la passion que je lui inspirais. Hélas, la pauvre est dans le dénis. Du coup, je me disais que tu pourrais peut être lui demander d'assumer ce qu'elle ressent, et là peut être que j'envisagerais de lui laisser une chance. Mais je ne sais pas encore, hein, je suis un homme très convoité. Et elle est quand même bizarre, dans son genre. » Quoi qu'extrêmement plaisante à regarder, alors disons que ça pouvait éventuellement jouer en sa faveur. Bon, bien sûr, Alfie était ici plus dans la provocation qu'autre chose, parce qu'il savait bien ce qu'il inspirait à la jeune femme. Simplement, cette situation l'amusait. Charly disait alors qu'il pourrait le laisser, ce à quoi Alfie répondit par un mouvement de tête négatif. Mais le jeune homme devenait insultant, et ça n'allait pas. « Ne parle pas de ce que tu ne connais pas, voyons ! Ce tapis, je l'ai acheté à Antalya, et il a plus de soixante-quinze ans. As-tu seulement une idée du prix qu'il m'a coûté  ? » Oui bon, il chipotait, mais il ne pouvait quand même pas le laisser dire de pareilles énormités. « Et il n'est pas question de me forcer … J'aimerais par exemple savoir si tu estimes t'être bien intégré en dépit du fait que tu ais raté la première semaine de jeu ? » Mais sur ces mots, Alfie s'éloigna de quelques pas puis revient vers Charly en lui tendant quelques petites choses. « Et tiens, du papier cadeau, avec des trucs dessus, je sais toujours pas si c'est des écureuils ou des cors de chasse … Et puis des ciseaux, du ruban, et du scotch. Tu sais faire deux choses à la fois, non ? » A savoir parler et lui rendre service. Oui parce qu'Alfie était non seulement sérieux, mais aussi particulièrement obstiné.

La patience n’était pas un don mais bel et bien une qualité. Elle se cultivait au fur et à mesure que la vie vous frappait, vous apprenait à la respecter. Personne ne pouvait se vanter d’être né patient. Charly ne supportait pas cet homme. Il était représentatif de tout ce qu’il avait toujours renié, de ce qu’il détestait chez l’être humain. Riche d’une patience apprise au fil du temps, il ne s’énervait nullement contre son hôte, préférant esquiver ou tourner en dérive ses propos dédaigneux. Sa sympathie le conduisait aussi à ne pas lui cracher des infamies à la figure, après tout il faisait son job à sa façon. Du moins il osait espérer pour ce type qu’il jouait un rôle défini et qu’il ne s’agissait pas là de sa réelle personnalité. Le mec monologuait pour en arriver sur son tapis turc dont personne n’en avait rien à cirer sauf peut-être les turcs eux-même qui devaient être fier de voir que leurs tapis avaient tant de succès auprès des aristo. Et encore, l’émission n’était même pas diffusée chez eux. Alfie continuait sa provocation gratuite et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne lâchait pas le morceau. Il n’eut besoin d’en dire d’avantage, Charly avait déjà compris qu’avec lui il ne fallait pas chercher à avoir le dernier mot. Ou peut-être bien que si justement, pour rigoler un peu. Pour l’instant il le laisserait faire, si ça le flattait de croire qu’il se sentait troublé par sa présence alors qu’il se fasse plaisir. Par contre l’anglais ne put s’empêcher de réagir sur sa réflexion concernant son âge. Qu’il ait la tête d’un gamin de seize ans ? A d’autre. « Depuis une dizaine d’années ouais. T’es mauvais en déduction dis-moi. » Pas très observateur le Ripley. Il s’engagea dans une tirade concernant Aoife et son pseudo béguin pour lui. Vu de l’extérieur cette dernière n’avait pas l’air de porter le chroniqueur dans son cœur. Pire, lorsqu’elle s’était adressée à lui pendant du prime son regard était carrément devenu flippant. Le temps de quelques secondes elle était apparue comme l’une de ces femmes au masque souriant et à l’arme blanche derrière le dos. Si le grand brun se plaisait à croire qu’il était irrésistible alors ce n’était plus du ressort du candidat, cependant il restait persuadé que le mec avait flashé sur la rouquine. « La passion ? Tu veux dire le feu qui l’anime. Elle crève d’envie que tu lui donnes une autre chance. Principalement pour te mutiler il me semble, selon ses propres propos. » Si ses souvenirs étaient bon elle avait prévu de ne pas lui rendre sa main. Femme vengeresse. Une profonde ironie teintait ses paroles bien qu’elles puissent être considérées de deux manières différentes. Comme il avait l’impression d’être là pour lui tenir la grappe plutôt que pour une interview, Charly proposa de faire demi-tour. Alfie semblait tellement blasé de le recevoir qu’il préférait carrément retourner auprès de ses petits camarades. Pourtant non, le chroniqueur le retint, revenant sur son histoire de tapis. Ça allait finir qu’il allait lui pisser dessus, sur son tapis. Bon, il l’avait aussi cherché. Une nouvelle occasion pour le jeune homme de se vanter de la valeur de ses biens. Laissant échapper un sifflement faussement « waouw » lorsqu’il précisa que son attrape-poussières venait d’Antalya, Charly rétorqua un simple « Non. » lorsque le chroniqueur lui demanda une estimation du prix. Il en avait tellement rien à foutre que la réponse était venue automatiquement. Il lui posa finalement une question sur son aventure. Oh, ça. Il pensait que c’était du passé. « Ouais ça s’passe bien. » Chez Charly une Yes/No question restait une Yes/No question, il ne voyait pas d’intérêt à développer quand la réponse lui paraissait aussi évidente. Même sans coucher avec personne l’intégration s'était montrée rapide. Il suivait le chroniqueur des yeux, lui qui était parti fouiner ses tiroirs. Stupéfait, l’un de ses sourcils blond s’arqua. Il hallucinait là, le mec lui sortait tout le matériel pour emballer son cadeau. Alfie était obstiné, c’était un fait. Charly avait eu l’amabilité de laisser passer pour sa pseudo admiration mais ça ne serait pas le cas pour le papier cadeau. Il aurait le dernier mot. « Ce sont des écureuils. Heureusement pour la gamine, des cors de chasse ça craint en papier cadeau. T'as pas grandi avec ton époque ou je me trompe ? » A la guerre comme à la guerre, il installa ses pieds sur le bureau du monsieur. « Britta souhaiterait s'entretenir avec toi, au fait. Elle a bien envie de tester ton bureau. Pas toute seule, t'imagines bien. » Chose promis, chose dû. Le message était passé. Ah et, tiens, il avait oublié de préciser un truc super important. Au cas où il aurait pas encore compris. « Débrouille-toi pour ton papier cadeau. Entre nous t'as plus une tête à avoir fait les scouts que moi alors me dis pas que tu sais pas faire. » Bon. Charly avait été scout, c'était un fait. Par obligation. Mais bon. Il était pas censé le savoir, si ?

Il est vrai que ce n'était jamais qu'un tapis, qu'il ait été importé de Turquie ou d'ailleurs. Mais Alfie avait toujours ressenti le besoin de mettre en avant ce qu'il possédait, certainement parce qu'il était issu d'un milieu où l'on cachait beaucoup de choses derrière des apparences impeccables, comme des objets de grande valeur. Et bien qu'il ait été indisposé par bien des aspects dudit milieu, il s'était toujours fort bien accommodé de celui-ci, et faisait alors régulièrement l'éloge de ses biens, pour la simple raison qu'il avait bien conscience de ne pouvoir compter que sur peu d'autres choses. Alors oui, ça faisait partie des choses qu'il pouvait placer dans n'importe quelle conversation, parce que c'était toujours plus commode d'insister sur ce genre de détails que sur d'autres. Quant au reste, il est vrai qu'il ignorait jusqu'à l'âge de Charly, tout simplement parce que le connaître n'aurait pas grand intérêt, mais exagérait tout de même dans ses insinuations. Encore heureux que Charly ait été né en 98. Le contraire aurait été pour le moins inquiétant. « Pour ma défense, t'es coiffé comme un dessous de bras, ça m'a certainement induis en erreur. » Oui parce qu'autant il avait un minois plutôt harmonieux, autant il arborait une coupe pour le moins improbable. Au point qu'Alfie était à deux doigts de lui proposer de rafraîchir sa tignasse. En tous les cas, le chroniqueur était persuadé d'une chose : non, Aoife n'avait pas craqué pour lui. Néanmoins, il se plaisait grandement à le prétendre, autant parce que ça l'amusait lui que parce qu'il savait que si ses propos venaient un jour à arriver aux oreilles de la rouquine, elle n'en serait pas particulièrement ravie. C'est qu'il avait bien vu qu'il lui inspirait un certain dédain. Ce qui était plaisant, en tout cas, c'est que Charly rentre plus ou moins dans son jeu, sans grande conviction toutefois. « Que veux-tu, je lui ais volé son cœur, alors elle projette de se venger sur ma main ... Mais elle ne dupe personne, et surtout pas moi. Je sais qu'elle donnerait cher pour être à ta place aujourd'hui. Je suis d'ailleurs presque sûr qu'elle s'est faite refouler par Bradley et Steeve, en tentant de recroiser ma route, dans un élan de désespoir. » Non pas qu'il veuille avoir l'air de se faire de gros films, mais il était souvent dans la démesure, ainsi donc il se plaisait à imaginer des situations assez extrêmes, comme une Aoife mordue au point de tout tenter pour retomber sur lui. Parce qu'en soit, Aoife n'avait pas le profil, qu'on se le dise. Quant au prix du fameux tapis importé de Turquie, il n'était pas aisé à deviner et Alfie comprit de toute façon sans mal tout l'intérêt que ça inspirait à son copain blond. Il haussa alors simplement les épaules, puis accueillit une réponse pour le moins évasive de sa part. « Non, sérieux ? Personne n'en a profité pour te bizuter ? Ça me surprend, j'aurais juré qu'ils avaient pissé dans ton shampoing. Ça aurait expliqué bien des choses ... » Oh allez, ça va, il disait ça sans grand sérieux. Il ne faisait pas non plus une fixette sur les cheveux de Charly. Charly qui le lui rendait de toute façon fort bien. « Tu y mets les formes, toi, pour dire à quelqu'un qu'il est ringard. » Même si ça n'était pas exactement ce qu'il avait dit, pour Alfie c'était tout comme. Non pas qu'il s'en sente vexé, mais c'était plutôt amusant à relever. Et là, tandis qu'il le vit prendre ses aises d'une bien étrange manière, voilà qu'il lui parla de Britta. Britta qui, semble-t-il, avait une petite idée en tête. « Oh, vraiment ? Et y'a moyen qu'elle vienne avec des copines, tu penses ? Non parce que, tant qu'à faire, autant exploiter ce bureau sous tous ses angles, tu ne crois pas ? » En soi, il était plus surpris qu'il le laissait paraître, et aussi attirante soit Britta, il n'était pas dit qu'il veuille prendre le risque de la convoquer. Comme il l'avait dit à Aston, il n'était pas dans la meilleure position pour ça. « Et c'est quoi, d'après toi, une tête à avoir fait les scouts ? » Quoi qu'il n'était pas nécessairement sûr de vouloir connaître la réponse. « T'es chié, quand même. Je ne vais déjà voir ma fille que cinq minutes, et tu ne veux même pas faire en sorte qu'elle ait autre chose qu'un paquet estropié pour son anniversaire ... Ses larmes seront pour ta cruauté, sache-le. » Il était possible qu'il en rajoute un peu, c'est vrai. Mais il l'aurait à l'usure, c'est évident.

Reconnaître ses pairs est une chose plutôt aisée. Du moins lorsque la personne en face de vous ne se cache pas. Il avait simplement suffit à Alfie d’ouvrir la bouche pour que Charly ne le reconnaisse. Il avait grandi dans cette atmosphère forte d’apparence et pauvre en contenu sentimental. Il avait vécu la culture du cynisme, soit l’arme subtile pour descendre ses adversaires tout en gratifiant son être. Les deux hommes venaient du même milieu. Alfie l’ignorait très probablement, il était difficile de le deviner même en analysant ses moindres faits et geste. Son travail s’était avéré long et minutieux mais petit à petit il avait gommé toutes ces règles de vie frigides que lui avait enseignée sa mère. Du moins les plus encombrantes. Il avait simplement confié son véritable prénom à Britta, indice qui en disant long sur son identité mais qui n’avait fait aucune route dans la tête de la Jethro. Un comble pour l’équipe de l‘interprétation. Alfie lui arracha un rire lorsqu’il jeta la faute sur sa tignasse. Décidément il parlait beaucoup capillaire ces temps-ci ! Soit, la conversation dériva sur Aoife puisque le chroniqueur semblait avoir encore leur entretien en travers de la gorge. La rouquine était sèche, c’est vrai, et il était clair qu’elle n’était pas du genre à aimer se faire embêter. « Bradley et Steeve ne sont pas très conciliants. » On se serait cru dans un mauvais soap TV avec ces prénoms digne du plus grand cliché anglais. Alfie était étonné de la rapidité avec laquelle Charly s’était intégré au sein de ses camarades. Quand on aime tout le monde en général ce n’est pas bien difficile, surtout lorsqu’on n’est pas un type à problème par-dessus le marché. Il notait cependant la remarque sur le shampoing. Il fallait qu’il en change, on lui faisait trop de remarques là-dessus ces temps-ci. Venant de tels spécialistes il prenait les réflexions à cœur. Ou pas, en fait. « Personne. Trop de charisme que veux-tu. Par contre pour le shampoing… comme j’ai oublié le mien j’utilisais celui de Phoebe. Tu verras ça avec elle. » Et bon courage hein, elle n’aimait pas trop qu’on s’attaque à ses cheveux la gamine. Il ne faisait d’ailleurs aucunement allusion à la tignasse drôlement entretenue de la demoiselle. Aucunement. Alfie revenait à la charge avec son papier cadeau de misère. Il ne le ferait pas, point. Et il s’y tiendrait, quoi que son adversaire dise ou entreprenne. Un rictus plus tard pour confirmer que, oui, il mettait les formes pour lui dire qu’il était totalement ring’, Charly jugea bon de changer de sujet. Et quel sujet, Britta était carrément en soif sexuelle ; il lui fallait du sang neuf. Ça se passait d’explications, vous connaissez la bête. « Les entretiens c’est un par un non ? Dis donc tu serais prêt à transgresser les règles du boss pour une simple partouze... Je ne t’imaginais pas aussi volage. » Autant dire les choses comme elles étaient, s'il y "mettait les formes" pour certaines choses, il ne prenait en général pas de pincettes pour s'adresser aux gens. Cela dit Britta à elle seule suffisait pour tester tous les angles de ce bureau, ça semblait aussi évident qu'un zèbre zébré. Hm, sa définition de tête de scout, donc. « La tête c’est une image. La posture bien droite, la chemise boutonnée jusqu’au col et l’air de peigne cul ça ne trompe pas. N’est-ce pas que j’ai raison, Alfie ? » Il le cherchait à le bousculer légèrement, leur échange ressemblant de toute façon à un match de ping pong. Il le tenait par le regard, sachant pertinemment qu'il avait raison. Ca n'empêcha d'ailleurs pas le mec de revenir sur son papier cadeau. Qu'on lui offre la palme de l'obstination, par pitié. Charly hésita à fléchir lorsqu'il lui parla des larmes de son enfant mais après tout c'était sa môme, pas la sienne. « L'attention qu'on met dans un cadeau est toujours plus importante que le cadeau en lui-même, tu devrais en prendre compte. Je te laisse remplir ton devoir de papa.  » Il poussa les objets, c'était à Alfie de le faire, pas à lui. Malgré tout il était peiné pour lui, pour sa situation familiale peu glorieuse. Enfin si c'était vrai.

Que tout le monde se rassure, Alfie avait conscience qu'Aoife était certainement la dernière personne susceptible de s'être éprise de lui. Leur entretien avait été plus épineux qu'autre chose, et ça il en avait eu conscience du début jusqu'à la fin, où il s'était demandé si la jeune femme n'en avait pas profité pour empoissonner son gin. Alors oui, il n'était ici question que d'invention pure et simple, lui qui pouvait parfois trouver un certain amusant dans la création d'une réalité alternée et, pour le coup, des plus improbables. C'était plus simple que d'admettre qu'il n'avait pas déprécié le moment qu'il avait passé avec Aoife, qu'elle avait même été l'une des rencontres les plus intéressantes qu'il avait pu faire ces derniers temps. Quant à Bradley et Steeve, ils allaient finir par devenir des légendes urbaines. « En même temps, ils ne sont pas payés pour l'être. » Non pas qu'on leur donne des instructions précises sur combien il valait mieux régner par la terreur, mais il est certain qu'ils n'étaient pas censés jouer les tendres, ne serait-ce que pour conduire ces jeunes gens jusqu'ici. Mine de rien, tout se jouait à peu de choses, et une gestuelle un tant soit peu brusque forçait le respect, du moins de l'avis d'Alfie. Les cheveux de Charly, en tout cas, semblaient décidément lui inspirer quelques remarques douteuses, pourtant il n'était même pas plus mal coiffé qu'un autre. Disons qu'on pouvait toujours trouver pire. M'enfin, de là à parler de charisme, hein. « Et le pire, c'est que t'as l'air de croire à ce que tu dis, hm. » Oui parce qu'avec tout le respect qu'il lui devait - autrement dit aucun - son charisme faisait partie des choses qu'on pouvait facilement remettre en question. Quant à cette histoire d'emprunt de shampoing, ouh, elle faisait froid dans le dos.. « Tu apprendras, jeune nigaud, qu'emprunter le shampoing d'une fille est une sacrée erreur de débutant. On croit pouvoir donner le change et au final on se retrouve avec la tignasse d'un type qui se serait shampouiné au saindoux. » Moralité : chacun ses affaires et personne n'aura l'air de n'avoir pas pris de douche depuis trois mois. Quoi que dans le cas de Charly, ça n'aurait pas nécessairement été pire, quand on y pense. En tous les cas, quel ne fut pas l'étonnement (intérieur) d'Alfie lorsqu'il apprit que Britta n'aurait rien contre l'idée de le connaitre ... bibliquement. Car bien qu'il n'ait eu aucun mal à rentrer dans ce petit jeu, non, il n'était pas dit qu'il soit plus intéressé que ça. « Attends, t'as pas vu l'écrito en entrant ? "Cabinet d'Alfie Ripley". Alfie Ripley, jusqu'à preuve du contraire, c'est moi. Donc ici, c'est mon cabinet, et les règles qui le régissent sont les miennes. Mais j'ai bien compris que tu voulais en être, toi aussi, alors ne t'inquiète pas, on ne sera pas trop de deux pour les gérer. » Ce qui, en soi, était bien la preuve qu'il n'était pas aussi sérieux qu'il le laissait croire. Car non seulement il n'avait pas pour habitude de s'amuser avec plusieurs partenaires - il était exclusif, que voulez-vous - mais encore moins d'inclure des types, qui plus est des blonds. Quant à la "tête à avoir fait les scouts", il ne fut guère surpris d'en entendre les caractéristiques. « J'ignorais qu'être élégamment apprêté devait être sujet à tant de médisance. Cela dit, je peux comprendre qu'en tant que représentant des pedzouilles, tu cultives un style bien plus débraillé ... Quoi qu'il en soit, non, je n'ai pas fait les scouts. Pardon de ne pas être à la hauteur de tes stéréotypes. » C'est qu'il en serait presque désolé, pour le coup. Mais oui, il avait échappé au scoutisme. Son adolescence, il l'avait occupé bien autrement. Tout ça pour en venir au fait qu'Alfie était très obstiné à obtenir ce qu'il voulait de Charly et qu'il tenta même un coup de chantage affectif, ceci dit bien en vain. C'est que ce blondinet était sans cœur, dites donc. « Non seulement tu refuses, mais en plus tu t'offres le droit de me culpabiliser ! Très bien, tu as gagné, je n'insisterai pas davantage. J'aurais plus vite fait de m'y mettre maintenant de toute façon ... » Plutôt que de tenter encore longtemps de le faire changer d'avis ? Oh oui, sans nul doute. Quoi que. « Tu commences et je termine ? » Non mais, comme s'il était du genre à renoncer, sérieusement.