ENTRETIEN N°2 ~ AOIFE

mise en situation

Le candidat a été convoqué au confessionnal une demi-heure plus tôt. On lui a bandé les yeux et on l'a conduit jusqu'à une porte qu'il n'a eu qu'à ouvrir, puis on l'a fait entrer en la refermant derrière lui. Les yeux maintenant découverts, le candidat se trouve alors dans un petit vestibule, tandis qu'on lui a préalablement indiqué de se diriger vers les rideaux qui lui font face et de pénétrer à l'intérieur de l'espace qu'ils cachent, à savoir un petit cabinet victorien où le chroniqueur l'attend.

Cette semaine encore, Alfie était supposé recevoir un candidat dans son cabinet pour ce qui ne tarderait pas à devenir coutumier. C'était aussi ça son rôle, après tout. Convier ces jeunes gens dans ses parties privées, leur faire la conversation, et tout ça pour se faire une idée plus précise de leur personne, puisque c'était tout l'intérêt de ces entretiens après tout. Car il ne prendrait pas la peine de convier quelqu'un dont il se fichait pas mal et qui ne l'intéressait pas le moins du monde. La transparence ne l'intéressait pas, lui ce qu'il voulait c'était apprivoiser des tempéraments qui le laissaient perplexe, qui le troublaient, qui l'intriguaient. La semaine passée, s'il avait choisi Aston, c'est bien parce qu'il avait ce petit coté mystérieux et presque intemporel qui lui avait donné follement envie d'en savoir plus sur son compte. Et au final, il s'était avéré qu'il était quelqu'un d'aussi intéressant qu'il l'avait soupçonné. Cette semaine, Alfie avait alors porté son choix sur une rouquine qui, là encore, l'intriguait fortement. Aoife avait très certainement un caractère singulier, mais cela tombait bien puisqu'Alfie estimait être lui même quelqu'un d'assez difficile à cerner quand il se donnait les moyens d'arrêter de faire le con … Il n'était pas dit, bien sûr, que cet échange soit aussi fructueux que le précédent, mais ça n'en serait que plus intéressant encore. Ainsi donc, c'est avec cette même impatience qu'il avait ressenti quelques jours plus tôt qu'Alfie guetta les rideaux pourpres de son cabinet, où ne tarderait certainement plus à apparaître la jeune femme qu'il attendait. Et justement, alors qu'il se trouvait toujours assis à son bureau et que son regard se posa hasardeusement sur les vitres de sa porte fenêtre où se reflétait un soleil encore bien présent, il vit surgir cette rousse incandescente qui, c'était maintenant officiel, était une bien charmante jeune femme. « Tu es en retard. Ouais, d'au moins une minute trente. La minute trente de trop. C'est con, hein. Bref, l'entretien est terminé, je ne bosse pas dans ces conditions. Je te prie de bien vouloir foutre le camps et de te prendre un mur en sortant, si possible, merci bien. » Ce qui, dans le langage somme toute un peu particulier d'Alfie équivalait très certainement à de chaleureuses salutations. « Eh, je plaisante, tu t'en doutes. Sois la bienvenue, Aoife. Mets-toi à l'aise, et si t'as un décolleté à me montrer, c'est le moment, vas-y, n'hésite pas, l'entretien n'en sera que plus passionnant ... » Bon, elle pouvait aussi s'abstenir, mais très franchement elle n'avait pas à être gênée, il ne la reluquerait qu'en tout bien tout honneur après tout. Et loin de lui l'intention de profiter de son statut pour la jouer gros lourd intempestif. C'était si peu son genre en plus … « Je dois quand même te prévenir qu'Aston a mis la barre très haut la semaine dernière. Cependant, il te reste une chance de devenir ma chouchoute. Eh ouais, il a beau avoir beaucoup de qualités, lui il n'a pas de nichons ... » Gros lourd intempestif, non décidément, ça n'avait jamais été son genre, hm.

Cet entretien tenait une place entre se faire arracher les dents sans anesthésie et se faire peindre les ongles en rose dans la liste des choses qu’elle voulait faire. Elle aurait bien émit quelques objections, si seulement on le lui avait demandé. Mais évidemment, cela faisait parti du jeu aussi, se rendit-elle, à pas très, très lent vers cette porte qu’elle n’avait pas encore passé. Le cabinet d’Alfie. Rien que le nom était pompeux et elle espérait que l’homme le serait un peu moins. La seule raison pour laquelle elle avait trouvé une explication à cette convocation, était qu’elle était une femme et qu’elle était jolie. Certes, il n’y avait pas qu’elle mais peut-être qu’il avait un truc pour les roux, c’est plus fréquent que les gens veulent bien le laisser entendre. En tous les cas, elle s’était habillée de manière à montrer le moins de peau possible. Un levy’s banal, un tee shirt hard rock café. Elle avait attaché ses cheveux en une sorte de chignon qu’on appelait romantique pour on ne sait quelle raison et chaussée ses converses rouge. Voila, elle était prête à passer l’interview la moins productive de tous les temps. Ah, elle allait lui donner du fil à retordre et avec un malin plaisir en plus. Ne prenant pas la peine de frapper, elle était attendue après tout, elle pénétra dans le bureau, pardon, le cabinet d’Alfie et s’arrêta prêt de la porte, prête à décamper à tout moments. Le ton qu’il employa la surprit nettement mais ses propos, ah, ces propos, elle aurait pu les bénir. Les chérir même. S’il n’avait pas cassé tous ses espoirs en lui annonçant que c’était une blague. Mais quel genre d’homme est assez cruel pour donner de tels espoirs aux gens. Elle du se retourner, puisqu’elle avait déjà entamé sa retraite et s’avança pour s’assoir dans un des fauteuils. A bien y réfléchir, cet homme n’avait rien à envier à Ariel. Des blagues lourdes, absolument pas drôle et une conversation à 90% d’ordre sexuelle. Géant, elle allait passer une super journée, c’était certain. Comme il n’avait posé aucune question et qu’elle n’avait aucune envie d’entrer dans son jeu, elle se contenta de s’installer confortablement et de l’observer. Elle prit soin de garder un visage neutre et de ne pas quitter ses yeux, elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle le reluquait, juste qu’il remarque qu’elle s’ennuyait à mourir, qu’elle le jetterait bien de la fenêtre et qu’elle préférerait nourrir les rats plutôt que son interview.

Non, bien sûr, Aoife n'était pas en retard. Ni d'une minute trente, ni d'une minute tout court en soi. Et même si elle l'avait été, même s'il avait du l'attendre un peu plus longtemps encore, il eut été probable qu'Alfie ne s'en serait aucunement formalisé, n'étant lui même que rarement d'une ponctualité exemplaire et n'étant heureusement pas suffisamment de mauvaise foi pour blâmer autrui de ce qu'il ne connaissait lui-même que trop bien. Ainsi donc, l'entretien aurait bien lieu. Une bonne nouvelle, assurément. Et bien oui, il était manifeste qu'Aoife n'attendait que ça, depuis l'instant où elle s'était levée. Sans doute avait-elle passé sa journée à penser au moment où elle rencontrerait enfin Alfie, qui hantait très certainement ses songes depuis la veille au soir, béni instant où elle avait appris, sans doute avec grande joie, qu'elle aurait l'immense honneur de passer un moment avec lui en ces lieux. Oh oui, nul doute qu'Aoife était présentement enchantée qu'il n'ait été question que d'un trait d'humour peu convaincant. Ça se voyait, après tout, qu'elle était ravie. Et le mot était faible. Tenez, c'est bien pour cette raison qu'elle ne lui adressa pas le moindre mot, qu'elle l'ignora pour ainsi dire complètement, lui adressant toutefois un regard on ne peut plus chaleureux, évidemment. Autant dire que ça le changeait, lui, de la coopération immédiate d'Aston, la semaine passée. Sans doute Aoife préférait-elle lui compliquer sensiblement la tâche. Quel dommage, alors, qu'Alfie soit d'une persévérance dont il ne connaissait lui même aucunement les limites.  « Je peux comprendre que tu préfères intérioriser toute la joie que te procure cette invitation, mais tu peux quand même sourire un minimum, hein, histoire que je sois sûr que tu ne comptes pas me casser un vase Ming sur la tête si tôt que j'aurai le dos tourné ... » Oh allez, elle pouvait au moins faire un tout petit effort, parce que là on aurait vraiment dit qu'on l'avait tiré par les cheveux sur tout le chemin, or ses hommes de main n'étaient pas des hommes violents. A priori, du moins. « Je te sers quelque chose à boire ? Aston est témoin, il n'y a que du gin ici. Enfin presque. Mais c'est bien, le gin. Ça te déridera peut être un peu. » Non pas qu'il cherche à se prendre une baffe, mais il est vrai que toute occasion était bonne pour tenter de la décoincer un tantinet. En tous les cas, il ne perdit pas plus de temps et opta pour une première question. « Et, dis-moi, en tant que membre de l'Equipe Gomery, que penses-tu de tes coéquipiers ? La semaine dernière, tu as refusé un dilemme alléchant sous prétexte qu'ils ne méritaient pas que tu sacrifies ta cagnotte pour eux ... Alors vas-y, dis-moi des saloperies sur tes alliés, je ne vis que pour ça. » Pour preuve, il s'apprêtait à boire la moindre de ses paroles. Il n'était pas difficile, en plus. Deux-trois insultes, et elle ferait sa journée. Sa semaine, même.

Evidemment qu’Aston serait son préféré. Il était charmant et avait probablement raconté tout un tas de choses qui avait du plaire à Alfie. Il avait du répondre à ses questions sans le provoquer et sans donner l’impression qu’il avait envie de se planter le stylo plume dans la main. Il n’y avait aucun doute là-dessus, elle n’aurait pas les faveurs d’Alfie. C’était peut-être mal jouer, peut-être que pour aller plus loin, elle aurait du être charmante et toute avenante, peut-être lui proposer son corps comme il semblait ne pas le trouver spécialement repoussant. Mais elle ne comptait pas le faire. D’abord parce que c’était elle, aussi parce que sa fierté l’en empêchait. Elle ne voulait pas ramper. Elle n’était pas encore désespérée à ce point. Presque, mais pas encore. Alors elle allait être naturelle, taciturne, peu agréable et clairement cynique. Il en ferait ce qu’il en voudrait, mais surement pas grand-chose. Cela n’avait semblait-il pas échappé à Alfie qui n’en démordait pas pour autant. A ses paroles, un sourire émergea effectivement sur ses lèvres avant qu’elle n’ajoute rapidement. « Oh non, je n’oserais pas. » Penchant la tête, elle posa cette dernière sur sa main, coude sur l’accoudoir. « Un ming tout de même. » Elle prit l’air le plus choqué qu’elle avait en réserve pour signifier que c’était criminel de sacrifier un vase ainsi. Par contre, l’agrafeuse ferait très bien l’affaire. Ou un stylo, même un simple stylo. Un trombone ? Elle ne pouvait pas blesser la production simplement parce qu’elle désirait s’entretenir avec elle mais une femme à le droit de rêver non ? Sachant qu’il n’y avait que du Gin dans cette pièce, cela pouvait expliquer bien des choses... « Non merci. » Si boire pour oublier était tentant, elle préférait ne pas commencer de peur de ne pas pouvoir arrêter avant d’avoir réellement oublié. Et de dire des choses qu’elle aurait préféré garder pour elle. Finalement et contre toute attente, ce fut lui qui donna le premier coup. De couteau, et bien dans le dos. Dieu savait qu’elle ne s’entendait pas avec son équipe et qu’elle ne demandait que ça de cracher dans leur dos. Elle aurait pu en disserter un long moment, en long, large et en travers. Mais William avait annoncé que le jeu par équipe ne faisait que commencer, et que, par conséquent, elle allait devoir se les coltiner un petit moment. Les dénigrer un à un n’allait pas vraiment aider les choses à avancer. Alors elle endossa son plus beau sourire, celui qu’elle avait l’habitude de porter à l’église, s’assit bien droit sur sa chaise, croisa les jambes, posa ses mains sagement sur ses genoux avant de déclarer. « Je ne souhaiterai pas me trouver dans une autre équipe que celle-ci. » Elle ne mentait pas, ils étaient les plus riches et même si cette situation pouvait ne pas durer, pour le moment ils étaient les mieux placés. C’était dit, la contre-attaque était donc possible, reposant ses jambes à terre, elle s’adossa de nouveau au fauteuil. « Ce doit être difficile non ? De vivre dans le château de William, d’avoir des portraits de William un peu partout, de travailler pour William… » Constant rappel qu’il était plus riche, plus influent que lui. Non, ça ne devait pas être des plus plaisants tous les jours.

A voir Aoife se complaire dans ce rôle de fille si peu intéressée, l'on pourrait croire qu'Alfie regrettait profondément d'avoir misé sur elle pour ce second entretien, sur une jeune femme qui, manifestement, n'avait pas dans l'idée de lui faciliter un tant soi peu la tâche. Et bien non, s'il est vrai que ce comportement passif le surprenait quelques peu, il l'intriguait plus qu'il ne le dérangeait en soi. Aoife représentait pour lui une sorte de défi. Elle se fichait pas mal d'être ici dans le cadre d'un entretien, ça il l'avait bien compris, tout comme il avait parfaitement assimilé qu'elle n'y mettrait que très peu de bonne volonté. Qu'importe, l'entretien n'était pas forcé d'être productif. C'est vrai, qu'elle joue ou non le jeu, Alfie n'en serait pas moins payé au final. Il aurait fait son boulot. Lui, vraiment, ça ne le dérangeait pas plus que ça d'être face à quelqu'un qui avait manifestement en tête de lui faire sentir combien la situation la gonflait. Car non, il choisissait de ne pas en lui en tenir rigueur. Et il n'en ferait même pas son bouc émissaire, pourtant dieu sait qu'il le pourrait. Ce serait trop facile, et Aoife représentait un mystère qu'il tâcherait plutôt de percer, que ce soit ici ou ailleurs, aujourd'hui ou plus tard. Simplement, qu'elle n'imagine pas tempérer sa curiosité à coup de répliques évasives, parce que ce serait bien mal le connaître. Quant à ce vase Ming auquel il avait fait référence, on pouvait le voir sur le petit living, au fond de la pièce. Un vrai Ming, oui. Un Ming qu'il préférerait évidemment converser en qualité d'objet de décoration. Être assassiné avec un si bel objet aurait beau être flatteur, il préférait quand même éviter. Juste comme ça. « Alors tu es humaine, finalement. Qui l'eût cru ? » rétorqua-t-il en tout cas, d'un fin sourire, lorsqu'il eut droit non seulement à un sourire de la part de la rouquine, mais aussi à une fausse marque de surprise. Qu'elle ne se méprenne pas, il se réjouissait de pouvoir constater qu'elle était pourvue d'émotions, ou en tout cas disposée à en feindre. Alors il lui proposa à boire, du Gin encore et toujours, mais là, ce fut le drame. « Sache qu'il n'y a pas pire affront à me faire que de refuser un verre de mon vénérable Gin. Alors à moins que tu sois en cloque, je te prierais de reconsidérer la chose. » Non pas qu'il veuille à elle aussi lui sortir le couplet du "j'aime bien enfoncer des bougeoirs dans des endroits improbables" mais il est certain qu'il serait quand même préférable qu'elle accepte à boire. Tout de même, c'était si gentiment proposé ! En tous les cas, il n'en oublia pas le but de cette entrevue et lui posa alors une question toute choisie. Il ne voulait ni l'atteindre, ni lui nuire, simplement la faire parler utilement. Mais à en juger par la gestuelle toute contrôlée d'Aoife, il ne put que s'attendre à sa répartie. « Oh, vraiment ? Dans la richesse, comme dans la pauvreté ? Loin de moi l'idée d'insinuer quoi que ce soit, mais tout semble aller mieux depuis que vous n'êtes plus dans le rouge ... Au fond, tes coéquipiers, tu les méprises, n'est-ce pas ? Si tu pouvais, tu les trahirais. Oui, sans nul doute. L'esprit d'équipe, tu l'as peut être dans certaines circonstances, mais bien moins dans d'autres ... Mais c'est vrai qu'elle est géniale, ton équipe. Parce qu'elle est riche, maintenant, ton équipe. » Il est vrai qu'en l'état, c'était encore l'équipe au sein de laquelle il valait mieux se trouver. Mais voilà qu'Alfie dut bientôt faire face à une riposte qu'il n'avait pas vu venir. Étonnante riposte que celle-ci, d'ailleurs.  « Difficile, c'est bien le mot. J'ai quinze ans de thérapie devant moi, c'est certain. » Et même qu'il songeait de plus en plus à organiser une mutinerie, hein, tant qu'à faire. « Entre nous, cette tentative de déstabilisation, si on consent seulement à lui octroyer ce nom, me semble un peu sommaire. C'est bien essayé, néanmoins. » Disons qu'on pouvait faire mieux, dans le genre "sujets sensibles" avec Alfie. « Au fait, t'es toujours aussi raide, ou tu me réserves juste un best-of de tes mimiques les plus inquiétantes ? » Non parce qu'un robot aurait l'air plus vivant, quand même, qu'on se le dise.

Humaine ça pour sur elle l’était. Ca la désolait certains jours, d’autres noms. Etre un canard aurait pu être sympa. Ou un paon, quelque chose d’assez primitif, bonjour, on s’envoie en l’air, au revoir. Deux trois roues et puis basta, c’était fait. Veni, vidi, vici. Mais non, elle avait deux bras, un cerveau et des pouces opposables. Elle lui adressa son sourire le plus hypocrite avant d’ouvrir les bras pour se désigner. C’était elle, dans toute sa splendeur. Après tout, c’était lui qui l’avait voulu, il l’avait eu. Si elle ne pensait pas lui faire un affront épouvantable en refusant un verre, elle en fut pour ses frais. Elle avait l’impression de lui avoir demandé de vider son compte en banque pour elle ou de se laisser pousser la barbe. Ce qui ne lui irait d’ailleurs pas si mal, il avait un peu l’air d’un gamin, comme si son corps s’était adapté à sa personnalité. « C’est reconsidéré. » Qu’elle ajouta après un léger temps de réflexion et la suite ne se fit pas attendre. « Mais je n’ai toujours pas soif. » Sourire à l’appui, sincère, cette fois ci. Elle avait trouvé de quoi le remuer sans même le vouloir et elle n’était jamais contre appuyer là où ça faisait mal. Il était peu probable qu’il en fasse une montagne mais c’était déjà ça de prit. S’en suivit ensuite un discours sur son équipe. Pas faux, dans l’ensemble mais un monologue tout de même. Elle n’ajouta rien puisqu’il n’y avait là aucune question, se contenta d’attendre la suite. Le coup de la thérapie lui tira un sourire, un vrai. Il fallait l’avouer, il ne manquait pas de répartie le jeune homme. Un peu plus et elle pourrait en venir à l’appré... Ah non, dire que sa tentative était sommaire venait de gâcher toutes ses chances. D’accord, elle l’était mais ce ne sont pas des choses qui se disent. Le gars passait toute la journée à les regarder et elle, tout ce qu’il savait de lui c’était son nom et qu’il avait deux trois tendances perverses. Et un ming. Il ne fallait pas oublier le ming. Il faudrait voir si elle ne pouvait pas discrètement le subtiliser en partant. Après tout, avec une diversion d’ordre mammaire il n’y verrait que du feu. Il le récupérerait bien assez tôt. Voyant qu’il l’observait et semblait attendre quelque chose elle fronça légèrement les sourcils. « Pardon vous attendez quelque chose ? Non parce que comme vous faites les questions et les réponses, je pensais que j’étais là en tant que spectatrice. » Si elle avait été blonde, son ton aurait été parfaitement adapté à son visage d’ange et ses grands yeux bleus dont elle battait exagérément des cils. Soupirant doucement, elle décida tout de même de lui répondre. C’était une interview après tout et le moins qu’elle pouvait faire était de répondre à ses questions. Quand il n’y répondait pas lui-même. « Et ne vous inquiétez pas, ce ne sont que les préliminaires. Le meilleur reste à venir. » Un clin d’œil vint arroser ses paroles alors qu’elle préparait déjà la contre-attaque. « Alors, c’est la main de Milana que vous imaginez le soir dans votre lit. Ou peut-être que vous préférez les blondes, Britta ? » Elle pencha légèrement la tête avant d’ajouter. « Ou Aston peut-être. Après tout, c’est lui que vous avez choisi en premier. » Et elle préférait ardemment oublier ce que cette théorie signifierait alors. « Ça doit être difficile, d’être là, tout seul alors qu’on se fait tellement plaisir. » Elle se pencha vers lui et une moue s’afficha sur ses lèvres. « Juste de l’autre côté de ce mur. » De nouveaux, elle lui sortit le regard de biche effarouchée, il avait déjà fait ses preuves.

Certes, ça n'était jamais qu'un verre de gin, ainsi donc c'était peut être exagérer un tantinet que de parler d'un affront, mais comprenez bien qu'Alfie avait peu de satisfactions en ce monde et que parfois, oui, il aimerait simplement pouvoir servir un bon verre de gin à une invitée, lui qui ne voyait que bien peu de monde depuis que sa future ex-femme s'était faite une joie de lui faire une charmante réputation auprès de leurs amis communs, qui n'étaient plus guère ceux d'Alfie à ce jour. Bien sûr qu'il en rajoutait, comme toujours, mais ici il aurait peut être aimé, c'est vrai, qu'Aoife coopère au moins en ce qui concerne ce pauvre gin, qui après tout n'attendait que d'être bu. Mais semble-t-il qu'Alfie devrait s'en charger seul, puisque mademoiselle, même en ayant eu l'extrême amabilité de (faussement) reconsidérer la chose, ne semblait toujours pas franchement disposée à accepter à boire de sa part, soit parce qu'elle tenait à garder les idées complètement claires - quoi que ça n'était pas un pauvre verre de gin qui aurait raison de sa lucidité, a priori - soit parce qu'elle tenait simplement à se montrer peu coopérative jusqu'au bout, ce qui ne l'étonnerait qu'à peine. « Quel dommage. Mais je comprends, tu ne saurais te permettre de prendre le risque de devenir loquace. Qui sait ce que tu pourrais dire après deux gorgées de gin. Pas grand chose, sans doute, mais ce serait déjà probablement un contraste saisissant comparé à ce que tu as pu dire jusqu'à présent. » A savoir quasiment rien. Non pas qu'il soit véritablement vexé, il en fallait quand même beaucoup plus pour que ce soit le cas, mais peut être son amour propre était-il tout de même un peu égratigné, puis-qu’après tout il n'avait fait que proposer à boire à une invitée, tout à fait gentiment de son avis, et n'avait pu qu'à nouveau déplorer le peu d'efforts qu'elle était disposée à faire pour lui simplifier un tant soit peu la tâche. Quant au reste, il n'attendit guère de réponse à son monologue improvisé sur l'intérêt peu innocent que pouvait subitement porter Aoife à son équipe, s'étant simplement contenté d'exposer une théorie et n'attendant donc ni réfutation ni confirmation de ses dires. De toute façon, il ne la blâmait de rien, et était plutôt du coté de ce genre de joueurs. La suite, en tout cas, le fit sourire. « Oh, je sais que ça t'arrangerait bien » qu'il souffla, toujours souriant, ne se formalisant décidément pas de la situation. C'est vrai qu'il parlait beaucoup, comparé à elle. Mais spectatrice, pourtant, n'était pas le rôle qu'elle était censée endosser en ces lieux. Mais semble-t-il qu'elle venait enfin de le comprendre. Elle parla de préliminaires, ce qui le fit sourire de plus belle, puis son petit discours lui arracha un rire net. Elle avait du culot, et ça lui plaisait. Pourtant, un détail lui fit froncer un sourcil. « Comme je l'ai dit à Aston, j'ai horreur du vouvoiement. Quel âge as-tu ? Vingt-cinq ? Vingt-six ? Je ne suis pas beaucoup plus vieux que toi, alors j'aimerais que tu gardes cette marque de respect pour William, si ça ne te demande pas un trop gros effort bien sûr. » Et il disait ça sans contrariété aucune, simplement parce qu'il avait longtemps du vouvoyer "Madame sa mère" et tous les gens de la haute société, et qu'il détestait qu'on le vouvoie lui, à son âge. Le jour où sa fille oserait le vouvoyer, elle s'en mangerait une qu'elle n'oublierait pas de si tôt, c'est certain. « Pour te répondre, c'est la tienne, de main, que j'imagine lors de mes nuits de grande solitude. Aussi plaisants à regarder soient tes camarades, et j'inclus sincèrement Aston à cette affirmation, j'ai personnellement toujours eu un faible pour les rousses. » Et lorsqu'elle adopta un ton peu farouche, il ignora sa nouvelle tentative et prit le risque de perdre une main en la tendant jusqu'à la chevelure flamboyante de la rouquine. « Elle est d'origine, d'ailleurs, ta couleur de cheveux ? » qu'il souffla, en plissant les yeux. Parce qu'en soi, c'était la seule question qu'il s'était véritablement posé au moment où son choix s'était porté sur Aoife. Rendez-vous compte du mystère qui entourait cette chevelure. Vraie rousse ? Fausse rousse ? Le suspense se voulait insoutenable désormais.

Visiblement, Alfie venait d’entrer dans le jeu. Elle ne put retenir un sourire. Dire qu’il fallait seulement refuser un verre pour qu’il commence enfin à jouer. Elle ne comprendrait probablement jamais les hommes, c’était clair et net. Il faudrait beaucoup plus d’un verre pour lui délier la langue, beaucoup plus mais elle ne refusait pas pour l’alcool en lui-même, ce qu’il avait probablement saisi. Malgré les couches d’humour salace et complètement lourd, il n’avait pas l’air stupide. Il y avait cette petite étincelle qui brillait au fond de ses yeux preuve que tout espoir n’était pas perdu pour lui. On ne l’avait pas spécialement bien élevée, aussi refuser un verre ne ferait pas retourner sa grand-mère dans son cercueil. Elle préférait cet Alfie là, plein de sarcasme plutôt que la première impression qu’il lui avait fait. En tous les cas, il ne renonçait pas facilement et c’était tout à son honneur. Quant au fait de le vouvoyer, elle aurait pu continuer simplement par esprit de contradiction, elle en possédait beaucoup mais il était vrai que c’était quelque peu déstabilisant. C’était installer une barrière qui n’y était déjà plus. « C’est agréable, je vois que tu as fait tes devoirs. » Le gars était journaliste, assistant ou peu importe son travail précis mais il ne savait pas quel âge elle avait. On sentait qu’il était vraiment concerné. Le sarcasme restait son rayon à elle mais elle fut incapable de décider si le fait qu’il pense à elle était sincère ou une simple blague. Elle l’observa un moment, sans réussir à découvrir quoi que ce soit sur son visage. C’était quelque peu gênant. C’était bien la dernière réponse à laquelle elle s’attendait. Un peu plus et elle en restait muette. Elle attrapa vivement la main du jeune homme pour l’empêcher d’aller plus loin dans la découverte de sa chevelure et fronça les sourcils face à sa question. Finalement, il ne lui avait posé que très peu de questions à propos de l’aventure mais ses cheveux attiraient toute son attention. Elle se disait aussi, il ne l’avait pas invoqué pour son charmant caractère et sa délicieuse conversation. Elle eut envie de mentir simplement pour la forme mais évitait de le faire en général. « Oui. » Elle était née avec et n’y avait pas touché une seule fois. « Maintenant que le grand mystère est résolu, j’aimerai disposer. » Elle s’obligea a lâcher sa main et lui adressa un sourire, encourageant au possible.