that wonder in my youth (mercredi - 18h00)

« Rosa on va faire un tour en ville ? » Le loft il est cool, mais beaucoup moins grand que le chalet dans lequel on était jusqu’ici et puis, visiter autre chose qu’un village vide qu’on voit depuis un mois, c’est quand même plus drôle. La brune ne tarde pas à me rejoindre, je glisse mon bras sous le sien tout sourire avant de prendre la direction de la petite place que j’ai repéré lors de mes précédentes expéditions. Le plus bizarre avec ce changement de décor, ce n’est pas forcément le loft qui nous change un peu du grand chalet dans lequel on a vécu pendant un mois, ni le fait qu’on se retrouve plus qu’à sept, mais surtout le fait qu’il y est du monde dans les rues et qu’on puisse marcher auprès d’eux. Bon bien sûr, on n’a pas le droit d’aller discuter avec les habitants de la ville, même si de toute façon l’anglais ne doit pas être leur langue principale, mais le simple fait d’être entouré d’autant de personnes en marchant dans les rues me rassurent. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ça me rappelle les rues bondées de New-York où on doit parfois jouer des épaules pour accélérer le pas lorsqu’on est pressée. Je dévie mon regard vers la grande brune que je n’ai pas lâché depuis notre départ du loft. « Ça fait bizarre tu ne trouves pas ? J’ai l’impression de ne plus être dans le jeu. » C’est vrai qu’après un mois passé à côtoyer les mêmes personnes et ne croiser que les quelques commerçants du village de Hallstatt, prendre un bain de foule ça paraît presque irréel. On continue de marcher quand mon attention est portée sur le cri d’enfant baragouinant quelques mots dans une langue que je ne comprends pas à leurs parents. Ils sont sur un magnifique carrousel à faire signe aux adultes qui s’empressent d’immortaliser ces moments avec leur appareil. Je suis attendrie par la scène, avant de me mettre par tirer sur le bras de Rosamie qui continuait son chemin. « Attends ! Je veux faire un tour de manège ! » Je lui offre un petit regard attendri pour qu’elle cède à ma revendication, comme une vraie gamine capricieuse. Ce n’est pas comme si c’était le genre de chose qu’on fait quotidiennement, par exemple à New-York, chaque année y a ce genre de jeu qui est installé pas très loin de chez moi, pourtant je m’y rends jamais parce que j’ai pleins d’autres choses à faire. Autant retrouver notre âme d’enfant ne serait-ce qu’un instant avant de retrouver notre réalité qui est parfois loin d’être drôle. Elle ne va quand même pas refuser ça ?

La foule, ça rend cette nouvelle destination différente à tout point de vue. J’ai l’impression de ne plus être au sein du jeu, mais juste en train de me balader avec une copine et de visiter une ville qui nous est étrangère à l’une comme à l’autre. Je fais par de mon ressenti à Rosamie qui ne trouve pas la situation banale. Pendant que je continue à regarder les uns après les autres les visages des habitants de cette charmante ville, Rosamie rajoute que tout ça lui semble irréel et lui fait penser à Truman Show. Mes pupilles se posent sur elle, m’interrogeant sur ses dernières paroles. « Truman Show ? Je ne connais pas, c’est une émission de chez toi ? » Ça sonne quand même beaucoup plus occidentale, mais je suis plutôt calée niveau télé-réalité et celle-là ne me dit absolument rien. Mon attention est happée par les cris des enfants et ce carrousel installé sur la place. Pris de frénésie, je tire sur le bras de Rosamie pour l’arrêter et l’obliger à porter son attention sur le manège pour enfant. Telle une môme, je lui demande ou plutôt, j’exige qu’on aille faire un tour. On aura sûrement l’air un peu idiote sur ce jeu réservé à des enfants d’un mètre vingt maximum, mais j’ai envie de profiter au maximum des moments qu’on va pouvoir vivre dans cette ville durant cette semaine qu’on pourra raconter ensuite aux candidats de l’autre groupe qui nous raconteront à leur tour leur propre souvenir dans la ville sûrement très différente où ils ont atterri. La brune accepte, on s’élance jusqu’aux abords du carrousel qui commence peu à peu à ralentir pour laisser descendre les chérubins qui vont rejoindre leurs parents. Avant de pouvoir monter sur celui-ci, elle me demande si je préfère choisir une tasse ou me la jouer amazone sur un cheval. Je souris en jetant un petit regard sous-entendu à Rosa. « Le cheval bien sûr ! » Le choix me semble plutôt logique, loin d’aimer le rôle de la petite cuillère, je préfère le titre plus glorieux d’amazone. Attendant impatiemment notre tour, mon regard s’assombrit. « J’aurais bien voulu que Izïa soit là pour profiter avec nous. » C’est vrai que le quatrième larron de notre petite bande me manque, je me dis aussi qu’elle nous a quitté en pensant à tort que Roma avait une dent contre elle. « Tu penses qu’elle va bien ? » J’essaye de m’imaginer le retour à la normale pour tous les éliminés, mais l’état d’esprit de Izïa me préoccupe davantage que celui des autres. « On était vraiment dans une bulle au chalet, mais ici, ça nous rappelle qu’il y a un après. » Je m’arrête une minute, fixant les enfants qui commencent à prendre place sur le manège et suivant machinalement la queue devant nous. « J’appréhende un peu, je crois. » Je tourne de nouveau la tête vers Rosamie, lui offrant un sourire moins rayonnant qu’il y a quelques minutes. « Désolé. » J’ai pas envie de l’embêter avec mon humeur changeante du moment, surtout que c’est moi qui a voulu profiter de ce moment, je ne vais pas tout saboter moi-même.

Rosamie commence les explications de sa fameuse émission de télé-réalité qui s’avère être en réalité un film américain. En sortant de ce jeu, je dois vraiment me refaire une culture cinématographique. J’ai beau connaître toute la filmographie d’acteur afro-américain tel que Denzel Washington ou Eddy Murphy, cela n’empêche que j’ai aussi d’énorme lacune en ce qui concerne l’énorme palette de film proposé par Hollywood. Pourtant, le résumé que me fait Rosamie est intéressant, je suis même plutôt intriguée par cette histoire complètement loufoque. « Putain, t’imagines si t’apprends que toute ta vie, c’est une énorme arnaque et que tous les gens que tu connais se sont des acteurs. » Un truc à te faire devenir complètement fou, mais qui fait parti des théories complètement invraisemblable, un peu comme lorsqu’on est gosse et qu’après avoir visionné Toy Story t’es sûr que tes jouets communiquent en ton absence. La brune propose de le regarder pendant votre semaine dans ce loft. « Je suis partante ! » Pour une fois que je regarde un film qui m’intéresse vraiment et que je n’ai pas encore vu. J’espère juste que Jill ne squattera pas la salle comme elle le fait déjà au chalet. On a beau passer un moment fun avec Rosa, je ne peux pas m’empêcher de mentionner le départ de Izïa. Faut dire que les départs sont de plus en plus durs, mais celui de Izïa particulièrement par rapport aux autres. Elle était dans notre petite bande de copines depuis le début de l’aventure et ne pas pouvoir l’avoir à nos côtés, c’est loin d’être facile. Je demande à Rosa si elle pense que l’éliminée va bien, mais sa réponse reste évasive, car tout comme moi, elle n’en sait trop rien. Elle mentionne le fait qu’elle espère qu’elle n’a aucune rancune par rapport au dernier prime qu’on a vécu. Je secoue la tête pour aller dans son sens. « Ouais franchement je me suis dit la même chose, ça ferait chier qu’elle ait mal pris ce qu’ils ont essayé de faire. » La production n’a pas été cool sur ce coup, mais bon, ils ne sont pas là pour satisfaire les candidats mais plutôt pour la satisfaction des téléspectateurs plutôt friand des conflits au sein du jeu. Je ne peux pas m’empêcher de confier mes craintes à Rosamie sur l’après TD. Je m’excuse de gâcher l’ambiance qui se veut normalement amusante, puisqu’on compte monter sur un jeu pour enfant et que je n’ai pas envie de l’embêter avec mon mood en dent de scie depuis la révélation de mon secret. « Je ne sais pas l’impact que ça va avoir à l’extérieur, si les choses vont vraiment bouger pour mon frère et pour les autres également. » Parce que le message que je veux faire passer dans l’émission, il n’est pas que pour les membres de famille, c’est pour toute une communauté que j’ai envie de me battre. Je plante mes pupilles craintives dans celle de mon amie. « J’ai peur d’avoir fait tout ça pour rien. » C’est certainement la plus grande crainte que j’ai actuellement. « Et puis, même si finalement ça fait bouger les choses, est-ce que je serais à la hauteur de ce combat ? »

Je suis abasourdie par le synopsis qu’elle me fait de ce film, m’imaginant à la place de la personne qui vivrait ça. C’est complètement fou et en même temps le monde est si tordu que tout à fait probable dans un futur pas si lointain. Rosamie, elle m’explique que dans cette situation, elle pétérait un câble et bouderait jusqu’à ce qu’on décide de la faire sortir de là. Je trouve sa réaction un peu molle, quoique super à l’image d’une Rosamie que j’imagine pas du tout devenir violente face à n’importe quel type de situation. Elle ajoute qu’en faisant ça, elle ne sera plus intéressante à regarder et qu’ils seront donc obligé de la laisser tranquille. C’est un raisonnement qui se tient et que je ne m’étais pas fait du tout. Ma manière d’aborder les choses auraient été beaucoup plus frontale. D’ailleurs, la brune elle me demande comment j’aurais réagi dans une telle situation. « Je crois que j’aurais d’abord beaucoup crié avant de me mettre à frapper tout le monde. » Radicale. Apprendre que tous les gens que je connais se sont littéralement foutu de ma gueule ça me ferait vriller complètement. Bien sûr, si j’avais réellement vécu ça, je ne sais pas vraiment ce que j’aurais fait puisque la Kara que je suis actuellement ne serait pas la même de ce monde imaginaire. Elle me parle d’un second film, mais là encore, inconnu au bataillon. « Pas du tout, je commence à me demander si moi l’américaine ici ou toi. » Même pas fichue de connaître des films réalisés dans mon pays alors que Rosa ne vit même pas dans ce continent. Le sujet bascule sur le départ de Izïa et la façon dont la production a mis en œuvre pour la faire douter de la sincérité de ses alliés, principalement Roma. Mon regard se pose sur le manège et les derniers mètres qui nous séparent du jeu, alors que je déballe avec beaucoup de sérieux les appréhensions que je gardais enfouie en moi jusqu’ici, mais que j’ai plus de mal à conserver depuis la révélation de mon secret. Les mots de Rosa me réchauffent le cœur et ont tendance à me rassurer aussi. Elle se montre réaliste, car je sais que je ne pourrais pas rallier tout le monde à ma cause, ce n’est même pas l’objectif. Les personnes que je veux toucher, se sont celles qui luttent chaque jour pour faire accepter leur droit. Ceux qui sont nés noirs mais qui payent le prix de cette différence malgré eux. Je ne peux pas m’empêcher de sourire en entendant Rosa me dire que j’ai des couilles, elle qui n’utilise jamais ce genre de langage d’habitude. Elle croit en ce qu’elle dit et moi aussi, j’ai terriblement envie d’y croire et de prendre conscience de ce courage qu’elle décrit. « Si tu savais le nombre de fois où j’ai eu envie de tout te dire, à toi, à Aera, à Santo. » Les nombreuses fois où j’ai dû me mordre la langue pour ne pas en dire trop, pour ne pas griller mon secret dès que la conversation tournait autour de ma famille. Elle me demande ce que je compte faire si les choses se mettent à bouger à l’extérieur et mon regard se perd sur les gosses devant nous qui ont l’air tous très enthousiaste de rentrer dans le jeu, s’excitant dans cette langue que je ne saisie pas. « D’abord, je veux que les coupables du meurtre de mon frère soient de nouveau jugés, c’est ma priorité. » C’est mon combat et quoi qu’ils adviennent, je ne lâcherai rien. « S’il faut passer par des manifestations, utiliser le peu de notoriété que j’ai acquis dans cette émission pour parler le plus possible dans les médias, sur les réseaux, je le ferais. Je n’ai pas de plan d’attaque prédéfini et je sais que ça va être une longue lutte acharnée, mais je ne lâcherai rien. ». Mon poing se serre sans que je me rende compte, animée par ce besoin de justice. La présence de Rosamie à mes côtés me sort bien vite de mes pensées. Je lui donne un petit coup d’épaule amical. « On approche de plus en plus de la fin, t’as hâte de pouvoir nous dévoiler ce que tu caches ? » Parce qu’elle fait partie de ceux dont le secret est intact et qu’on a du mal à s'imaginer.