do not disturb. (mercredi, 15h40)

@samson HUNTZBERGER

Je me suis rarement senti aussi inutile de toute ma vie. Déjà que cette sensation m’était déjà familière à l’intérieur du jeu, et même depuis maintenant plusieurs mois, je n’arrivais pas à me faire à l’idée que je devais rester sur cette île numéro deux à me tourner les pouces toute la journée comme si c’était normal. Il n’y a pas réellement de différence entre ici et l’île sur laquelle les candidats sont toujours. À l’exception que nous ne sommes plus dans le jeu que nos comportements n’ont plus d’impact sur le jugement de l’autre et ne nous mettent plus en “danger”. Enfin, je maintiens un contrôle sur mes gestes et mes paroles uniquement par défaut, et moins pour prouver quelque chose depuis les derniers jours. Nous sommes éliminés, à n’avoir rien d’autre à faire que de penser au fait que nous sommes éliminés. C’est une roue sans fin. Un trou noir d’ennui mortel. On est là à trainer au milieu de l’équipe technique, de la production, comme de vrais losers. Les voir s’affairer me donne encore plus envie de crier à quel point la situation est absurde. Je les fixe sans me soucier d’eux, je lance des regards à te glacer le sang, uniquement pour assurer ma tranquillité d’esprit et ne pas avoir à forcer des conversations vides de sens avec des gens dont je n’ai que très peu d’intérêt. Si je me forçais dans le jeu, ce qui doit paraitre comme un mensonge aux yeux de plusieurs alors que ce n’est pas le cas, je n’ai pas envie d’adoucir mes regards pour ne pas déplaire à quelqu’un ici. Je fixe un regard familier qui entre dans mon champ de vision alors qu’on n’a jamais eu de conversation lui et moi à l’extérieur d’échanges sur les médias sociaux. L’expérience n’avait pas été fructueuse et je ne gardais pas une bonne opinion du chroniqueur. Samson et moi sommes les seuls présents dans le coin détente, il est donc difficile de s’ignorer, bien que l’idée me frôle l’esprit. « Je pensais que tu serais venue à ma rencontre bien avant. » Il comprendra que je faisais référence à la remarque déplacée qu’il m’avait un jour faite en lien avec ma profession, qui n’était que d’enfouir les femmes médecins dans un cliché stupide. « Tu veux de l’aide pour ta prochaine chronique? » Je ne sais même pas pourquoi je demande alors que je n’ai rien d’une chroniqueuse de télé-réalité, ça ne fait pas partie de mes aptitudes et je n’ai aucune envie de les acquérir. Mais je pourrais l’aider avec la fashion police, je considère que j’ai un minimum de goût. Finalement, je m’emmerde à un niveau beaucoup plus élevé que je ne le pensais.

Honnêtement, que Samson vienne vers moi pour discuter ou non, ça m’importe peu. Je suis plongée dans un livre et si je peux continuer à m’instruire à la place d’échanger avec telle ou telle personne, je m’en sors toujours mieux. Mes capacités de socialisation ont toujours été restreintes. Si je me force pour débuter la conversation, je vois bien qu’il y a aussi un effort du côté de Samson. Enfin, si on peut parler d’un effort. Les petites gens… Non, mais pour qui est-ce qu’il se prend celui-là ? « Quelle réputation ? » je le questionne froidement et ironiquement, mes doigts pianotant sur la couverture rigide de mon livre que je viens de fermer, donnant toute mon attention au chroniqueur qui ne le mérite surement pas. Je lui offre de l’aide pour sa chronique, une certaine façon de trouver quelque chose à faire et ne pas mourir d’ennui. Ça venait d’une bonne place, je ne me moquais pas de lui ou ne tentais pas d’insinuer quoi que ce soit, contrairement à mes habitudes. Et comme souvent, mes propos sont mal interprétés ou quelque chose du genre. Je me sens soudainement plus tendu lorsqu’il glisse une pique concernant mon secret, comme s’il y avait matière à plaisanterie. Il me juge. Je le sais, je le sens. Comme plusieurs, il vient minimaliser ce que l’intitulé de mon secret veut dévoiler, ne comprenant probablement pas ce que c’est de devoir vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec un tel problème pathologique. Je pince d’abord les lèvres, me retenant de lâcher un soupir d’exaspération. Je dois lui répondre et je n’en ai même pas envie. Finalement, j’aurais peut-être préféré mourir d’ennui. « J’ai rarement été mentionné dans tes chroniques donc… » Je ne sais pas si je devrais y porter une réelle attention. « Sérieusement, il ne faut pas voir du mal où il n’y en a pas. » je finis par conclure, pour lui confirmer que je n’ai rien insinué de désagréable à la base. Samson, il fait tout pour faire comme si ses paroles n’étaient pas dirigées contre moi, mais j’ai de la difficulté de ne pas le prendre personnelle. On dit de moi que je suis susceptible et je sais qu’il est vrai que parfois, je me montre un peu trop sur la défensive lorsqu’on m’aborde, mais c’est qu’il y a de meilleures façons que d’autres de m’approcher à la base. Et la façon qu’a décidé de prendre Samson n’est pas la meilleure. « Si ce n’était que de moi, je ne serais pas ici à perdre mon temps à attendre de voir si j’ai justement des chances de retourner dans le jeu. » je n’aurais pas plus accepté mon élimination, mais j’aurais l’impression de moins me le faire remettre sous le nez à longueur de journée. « Clairement, je n’étais pas la plus appréciée. Je doute que ça change dans quelques semaines. » Donc est-ce que j’y crois ? Non, peut-être. Je ne sais pas. Je suis trop orgueilleuse pour même m’attarder à la question. « Toi, clairement, tu ne crois pas en mes chances. » Allez, pas besoin de me mentir. Je suis déjà à terre, j’imagine que je ne peux pas tomber de plus haut.