SOIRÉE N°1 : RECEPTION MONDAINE

La population du château arrive à petite foulée, ils ne se pressent pas et n’ont vraiment pas le sens de la ponctualité. Après tout il est vrai que nous avons toute la nuit. Quand bien même je doute que le maître des lieux ne fasse durer la cérémonie jusqu’au petit matin. Il ne m’avait pas trop l’air du genre à aimer veiller, peut-être me trompais-je après tout, tout le monde peut se révéler surprenant. Mes yeux se posent un instant sur l’assemblée avant de revenir scruter l’extérieur, portant mon fume-cigarette à mes lèvres. J’enivre très surement la pièce d’une odeur qui n’est pas agréable à tous mais qu’importe, à moi ça me plait. Une voix qui commence à me paraître familière vient dériver mes pupilles du petit lapin qui galope discrètement sous le buisson. Iro est facilement reconnaissable grâce à son accent. Sa façon de s’exprimer est déjà bien différente de ce qu’elle fut le premier jour, à commencer par toutes ces syllabes qu’il mâche ; lui qui auparavant était aussi formel qu’un directeur de pensionnat. J’hausse un sourcil, ignorant sa remarque sur la zone fumeur puisque clairement je ne compte pas éteindre ma clope pour lui, jusqu’à ce qu’il ne me la prenne pour tirer dessus. Il me laisse coi là. J’m’attendais pas à ça. Il me rend on objet. J’suis encore sous le choc. « Mais je laisse passer pour cette fois. - Merci Iro, t’es gentil. » C’est ironique, la façon assez détachée dont je prends la chose doit en dire long. Il parle d’aller prendre un verre. Je ne suis pas contre honnêtement. Mon regard balaie à son tour la pièce et là je vois Jessie. Je m’attarde un instant sur elle, ne pouvant m’empêcher d’avoir un sale rictus dédaigneux à son égard, puis mon attention revient doucement à Iro. « Je ne suis pas contre un verre. Les chinois c’est formaté pour nous servir de toute façon non ? » Je rigole, bien sûr. Je sais même pas s’il est chinois au final.

L’annonce de la soirée mondaine tombe juste après les nominations, dans un temps vraiment très voisin voire quasiment simultané. Automatiquement, je m’intéresse à la corrélation troublante et totalement malvenue voire importune de celle-ci avec l’annonce des nominations. Enfin, malvenue et importune parce que j’en suis, évidemment. Peu importe. Sans déconner, c’est pour passer de la pommade aux nominés que cela s’enchaine aussi vite ? Quoiqu’il en soit, j’accueille la chose avec indifférence en allant récupérer de quoi me saper pour ladite soirée sans un enthousiasme grandiloquent. Les soirées mondaines… en s’invente pas mondain qui veut. C’est tout un processus d’intériorisation qui se fait à la naissance et non pas qui s’acquière. Ce sont des codes que l’on possède ou pas. Un monde auquel on appartient ou non. Point barre. En gros, on l’est ou on ne l’est pas. Et quand on ne l’est pas, clairement ça se voit. Je suis plutôt à penser que mieux vaut ne pas trop se mélanger les mondes pour que les rapports restent cordiaux. Autrement, chacun chez soi et les moutons seront bien gardés. Faire semblant c’est juste tellement ridicule. Et c’est peut être bien cette perspective là qui me motive à y assister, à la soirée. Puis, je finis par enfiler une robe en désaccord avec le thème mais tout le monde s’en fout, personne ne m’en tiendra rigueur, moi la première, avant de me percher sur de hauts talons dont j’en maitrise l’art. En arrivant dans la pièce, je ne m’attarde pas sur le décor ni les pantins déguisés pour l’occasion. Bien au contraire je file vers le buffet afin de faire défiler le temps plus vite à l’aide d’une coupe, ou plusieurs, de champagne. Puis, c’est alors que j’intercepte des paroles prononcées par un mec engoncé dans un costume blanc (SEAN) à un autre que, par je ne sais quel miracle, je reconnais (SHEM). « Toi le premier non » je m’entends faire remarquer, spontanément avant reporter mon attention sur la coupe de champagne que je porte à mes fines lèvres. Rhétorique. Bah quoi ? En attendant, il n’est pas entrain de faire plus que ce que le reste des mortels s’attèle à faire.

Je savais bien que c’n’était pas l’idée du siècle de m’avachir sur ce foutu canapé après avoir reçu les résultats des nominations. J’ignore si c’est le bien-être de se savoir en sécurité pour une semaine supplémentaire ou ma capacité incroyable à pioncer n’importe où dans n’importe quelle circonstance, mais je me retrouve vautré sur l’un des fauteuils du salon de Willy pendant que la fête bat son plein sans que ça n’inquiète personne. Sérieusement, j’aurais pu être mort empoisonné au milieu des meubles de designers sans qu’aucun candidat ne vienne s’enquérir de mon état. C’est le mot ‘chinois’ qui me tire de mon sommeil et me pousse à émerger au milieu des années 20, fringué comme un clodo. J’ai l’impression d’être l’autre version du type à qui on a voulu faire une blague en lui disant de se pointer en costume de lapin à une soirée non déguisée. Je me lève au ralenti, les yeux rougis et les cheveux ébouriffés, lorgnant sur une bouteille de Whisky que notre hôte a généreusement mis à notre disposition. VICTOIRE. Je me dirige dans sa direction d’un pas robotisé, lâchant un bâillement à m’en décrocher la mâchoire. Youh, quelle ambiance de folie … Non vraiment arrêtez, ça n’se fait pas devant les caméras. Si Willy espère quelques dérapages, il va falloir servir des verres. Tout l’intérêt est de déterminer à qui. « D’après vous, qui a la descente la plus merdique ? » J’interroge l’amateur de Whisky (Sean) et ses voisins (Shem et Agathe) pour identifier ma prochaine cible tout en préparant le Lester cocktail. Je parierais bien sur la petite brune à l'air innocent qui complimente les autres candidates sur leur choix de robe.

Pour l’occasion, j’ai bon espoir que William et ses sous-fifres aient eu la délicatesse de mettre un champagne de qualité à leur buffet. Alors, après m’être saisie de la coupe, j’essaye de ne pas trop me montrer récalcitrante lorsque mes lèvres épousent le verre de la coupe. J’hume finement la boisson avant de la faire ruisseler jusqu’à ma bouche et… à peine eu-je trempé mes lèvres dedans je me sens forcée et contrainte de tout rendre dans le contenant, une grimace au visage. J’ai le palais sensible, vous voulez quoi. A moins que je ne sois juste trop exigeante, qu’importe, ils ont failli. Je repose automatiquement la coupe non sans premièrement brusquerie et deuxièmement un commentaire cinglant. « Si c’était pour se laver les mains qu’ils ont posé ça là, ils auraient pu prévenir ». Pour autant, persévérante, je pars à la recherche visuelle d’une liqueur universelle et donc pas trop dégueulasse en somme. Puis, c’est alors qu’un fin sourire vient illuminer mon visage lorsque mes prunelles croisent le chemin d’un Bourbon plutôt ancien. Parfait. Je m’apprête à tendre le bras lorsqu’un autre bras me passe devant. Je serre les dents avant de pivoter sur les talons. Cependant, prise de court, je n’ai pas le temps de râler que ledit candidat demande un avis. Piquée dans le vif, je ne peux, dès lors, résister à la tentation. C’est que je me sens presque concernée. « Je te conseille l’hypocrite brune entrain de gratter l’amitié juste là-bas, ou alors la quadragénaire moulée dans une robe bien trop serrée ou encore le brun faussement innocent ou encore la nana dont la coloration criarde n’a pas encore dégorgé. Autrement dit, t’as le choix. » je réponds au jeune homme (LESTER) en pointant du doigt chacun et chacune que je viens de viser pour plus de clarté. Décidément, je suis adorable et pleine de bonne volonté ce soir. « Sinon, tu peux juste me servir un verre et attendre que le temps passe » Parce que ouais, à la base, c’est ce que je voulais faire.

Je pose simplement une question à la brune lorsqu'un gars ajoute un truc. Déjà, t'es qui ? C'est la seule chose qui me vient à l'esprit. Je l'écoute à moitié et je retiens juste le mot cabaret à coller à Lolita, l'autre ne parle pas. Hm, génial. Vive l'ambiance. Je décide de fuir, ou simplement de préserver ma soirée vu qu'aucun ne semble apte à engager la conversation avec moi. Je suis apparemment transparente donc, ça va aller. On va dire que je suis trop bien, je me console comme je peux. C'est trop gonflant, je préfère me concentrer sur les notes de jazz qui résonnent dans la pièce. Bref. Je ne vais finalement pas m'imposer, je n'ai pas envie de me forcer finalement, j'esquisse un sourire avant de disparaître. J'observe les autres groupes déjà formés et rien ne me fait envie, enfin pour l'instant. Je vais me chercher un verre même si je ne bois que rarement. Je croise le regard de Shem, et je lève les yeux au ciel pour réponse. Faut croire que je n'arrive pas à sociabiliser. Je fais valser le bourbon dans mon verre tout en cherchant un accoudoir où je pose mon fessier et je croise les jambes. Pour me distraire, j'écoute la réponse d'Agathe à Lester et ne peux m'empêcher de retenir un rictus, c'est plus fort que moi. Bizarrement, je reconnais tout de suite les personnes à qui la demoiselle fait attention.

J’aime provoquer les personnes qui m’entourent, quitte à être considéré comme un affreux malotru. Les répliques cinglantes m’amusent plus qu’elles me blessent et c’est un peu l’une de celle-ci que je recherche en quémandant une danse de l’époque. Ce que je désire, ce n’est certainement pas quelques pas ennuyeux et simplistes déjà expérimentés par des candidats un peu plus loin. Je veux les plumes et tout ce qui va avec à l’image de Joséphine Baker. A la limite, faute d’un pic en réponse à mes paroles limite offensantes, j’aurais espéré au moins un rougissement de la part des effarouchées, mais je ne me serais certainement pas attendu à un acquiescement. Voilà une candidate qui mérite un peu de mon attention.  Je prends une demi-seconde pour étudier la jeune femme de haut en bas avant de me décider à prendre la parole. « Entendu. » je me contente de répondre d’une voix neutre atrocement sérieuse. Ça en serait presque angoissant, compte tenu de ce que je lui demande. Je me joue d’elle pendant un court instant avant de dévoiler un sourire carnassier. « Chambrée 1. » j’ajoute à titre d’information en plaisantant. Je finis tout de même par lever les yeux au ciel au cas où elle planifierait de vraiment me rendre visite plus tard dans la soirée pour bien souligner la dérision de mes phrases. On est jamais trop prudent.

Ce genre de soirées étaient un peu celles dont j'avais l'habitude de participer. Sauf que cette fois ci, j'étais là pour me représenter, seul, et non pas en compagnie de mon père. Il n'y avait plus personne pour dicter ma conduite, et je devais bien avouer que cette sensation était plutôt agréable. Je manquais un court instant de toussoter après avoir aspiré la fumée dans mes poumons. En toute honnêteté, même s'il m'arrivait parfois de fumer, je n'étais pas non plus un de ces grands habitués qui pouvaient acheter jusqu'à deux paquets par semaine. Surtout vu le prix de tabac, hm. Cela dit, ce n'est pas comme si je n'avais pas les poches pleines. « Merci Iro, t’es gentil. » me répondit Dalia alors qu'elle se mis à sourire, pour une raison qu'il m'échappa. « Je ne suis pas contre un verre. Les chinois c’est formaté pour nous servir de toute façon non ? » mes lèvres s'entre ouvrirent un court instant. Attendez, elle venait de dire quoi là ? « Chinois ? » m'insurgeais-je. Oui bon, j'aurais pu prendre mal le fait qu'elle venait de traiter une nation toute entière d'esclaves, mais vu que ça ne m'importait que peu, hm. « Cela dit, t'as peut-être raison. Mais comme je suis japonais, ton verre, tu pourras aller te le chercher toute seule. » je tapotais un instant dans le dos de la candidate avant d'ajouter, un léger sourire aux lèvres « Comme une grande. » enfin, façon de parler, vu le nombre de tête que je la dépassais. Mon regard se reporta alors vers le lustre, après avoir entendu un léger bruit. Puis, mes prunelles dévièrent sur le groupe se trouvant en dessous. Lolita, Xavi, Gabrielle et Mayumi. Bon. Le lustre penche un petit peu plus, alors que je le désigne d'un geste de tête à ma camarade de couchette. « Je suis pas sûr que ça soit normal, ça... » dis-je en fronçant légèrement les sourcils avant de finalement prendre la parole d'un ton légèrement plus fort, afin que le groupe concerné (LOLITA, XAVI, GABRIELLE, MAYUMI) puisse m'entendre « Hm... Excusez moi, je ne suis pas un grand designer de lustres, et je ne remets absolument pas en cause les goûts esthétique de William, mais il semblerait que celui qui se trouve au dessus de vos têtes ait bu un peu de trop. Donc hm.. Je vous conseillerais de vous décaler... d'une cinquantaine de centimètres... à peu près immédiatement ? » oui, il était plus très droit quoi. Enfin moi, je dis ça...