night crossing (vendredi, 23h00)

La soirée avait filé à toute allure, ou bien c'était peut être lui qui n'avait simplement pas vu le temps passer une fois assis au bar, à se faire servir pour l'une des premières fois de sa semaine – cette histoire de corvées avec Santo lui ayant rappelé que c'était pas désagréable non plus de se laisser un peu vivre – et à tenter d'avoir une discussion pseudo-profonde avec le gérant en ne parlant que quelques mots d'un allemand pas franchement au point. Il ne cherchait pas nécessairement à s'isoler lorsqu'il était parti explorer Linz en toute fin d'après-midi, mais il n'avait jamais caché qu'il appréciait aussi ce genre de moments, qui plus est alors que leur univers semblait s'être brusquement étendu. Gianni, c'était pas forcément comme ça qu'il s'imaginait la télé d'enfermement, et c'était nettement plus séduisant que tout ce qu'il avait pu fantasmer depuis l'extérieur. Non pas qu'il soit tellement attiré par le concept en lui-même en dehors des raisons qui l'avaient conduit ici, mais si on lui avait dit qu'il aurait l'occasion de voir du pays au cours de son aventure, c'est sûr que ça aurait contribué à lui donner envie de s'y lancer. Il l'avait confié à plusieurs occasions, des voyages il aurait aimé en faire plus au cours de sa vie et ça lui inspirait quelques regrets qui n'étaient pas toujours évidents à formuler, parce que rien ne laisserait a priori penser qu'un type comme lui n'avait pas eu mille occasions de voyager, quand c'était pas exactement le cas. Alors c'était clairement l'un des aspects les plus agréables de cette semaine, de pouvoir déambuler dans les rues de Linz à la nuit tombée. Ses pas l'avaient mené sans trop qu'il sache comment jusqu'au parc, silencieux et paisible à cette heure, pour finalement lui laisser entrevoir ce drôle de manège devant lequel il était déjà passé plusieurs fois mais qu'il s'était toujours plutôt imaginé tester de nuit. Pas de raison particulière si ce n'est que tant qu'à investir un vaisseau spatial, autant profiter d'une nuit étoilée. Son regard capta la présence d'Aera sur un banc non loin de là, et il s'approcha jusqu'à arriver à sa hauteur. « Votre visage me dit quelque chose, vous feriez pas partie d'une émission remplie d'alcooliques et de types en tenue légère ? » Il souffla, la fixant d'un air entendu avant de se fendre d'un sourire rieur. Ouais, outre l'auto-dérision évidente derrière sa remarque, ça lui avait traversé l'esprit plusieurs fois depuis qu'il était ici, que certaines des personnes qu'ils croisaient au détour d'une rue les avaient peut être aperçus à la télé. Est-ce qu'on leur avait exposé des consignes claires avant de les faire emménager dans le coin ? Peut être, de toute façon la barrière de la langue n'aiderait pas vraiment à en avoir le cœur net. « Si j'avais su que je te trouverais ici, j'aurais pas picolé avec... le mec du bar dont j'ai pas retenu le nom. » Gianni ironisa avec légèreté, loin de regretter cette parenthèse plutôt divertissante, en partie parce que même s'il avait eu la main lourde sur l'alcool il n'aurait pas eu à s'inquiéter de dire des trucs potentiellement compromettants. « J'ai pas bu assez pour que tu risques quoi que ce soit à tester un manège à "sensations" avec moi, cela dit. » Il précisa, l'air amusé. Il préférait qu'elle le sache, si tant est qu'il y ait le moindre risque vu l'âge moyen de ceux qui y montaient habituellement, d'autant plus que Gianni était souvent beaucoup plus raisonnable qu'il le laissait penser et rarement tenté d'abuser quand il était relativement détendu.

La fin de cette semaine d'exil approche à grand pas, et si elle doit reconnaître qu'elle n'a pas été dramatique – bien au contraire – y a quand même une part d'elle qui se réjouit de savoir qu'elle retrouvera bientôt l'autre moitié des candidats au chalet. Elle s'est habituée à leur dynamique générale, aux Adlers et aux Schwarz, aux petites embrouilles à la con, à ces soirées qui finissent jamais comme elles ont commencé ; à sept dans leur loft, c'est pas la même dynamique. Il y a de l'animation, mais Aera a du mal à vraiment trouver sa place face à des liens évidents entre certains candidats. D'humeur contemplative, elle a fini par quitter leur logement pour se promener dans les rues de Linz, jusqu'à atterrir face à un manège pour enfants qu'elle regarde distraitement tourner depuis dix minutes. Assise sur son banc, les yeux dans le vague, elle est dans sa phase bizarre d'introspection qui ne lui arrive quasiment jamais, parce qu'elle se débrouille toujours pour être entourée en temps normal et ne pas avoir à se poser trop de questions. L'arrivée de Gianni sonne la fin de ses réflexions et il lui tire un sourire qu'elle n'a même pas besoin de forcer. « Ca se pourrait... mais je suis ici sous couvert d'anonymat » elle souffle comme si elle lui faisait une confidence. L'alcoolique et l'exhibitionniste, ça fait un peu racoleur mais quand on connait les deux personnes derrière ces brèves descriptions, ça rend les choses un peu moins glauques. « Je me demande si les gens de la ville ont capté. Ca se trouve ils nous suivent tous les jours à la télé, avec leurs sous-titres. » Elle esquisse un nouveau sourire à cette idée improbable ; c'est leur première immersion dans le monde réel, mais ce monde réel-là lui paraît encore bien trop factice. Preuve en est qu'elle n'a pas pu échanger le moindre mot avec les habitants de la ville et pas seulement parce qu'elle ne connait pas un seul mot d'allemand. Elle a bien surpris des regards sur son passage, mais elle a supposé que c'était sa tête d'asiat' collant au parfait standard de la touriste de base. Ne manque plus que son appareil photo pour parfaire le cliché. « Pourquoi, parce que ma compagnie est plus charmante ? » elle réplique d'un ton mutin. Ou parce que c'est probablement plus simple de lui parler à elle qu'à un type qui ne comprend pas un mot d'anglais, même si la première alternative lui paraît plus douce. Gianni précise qu'il n'a pas bu à ce point et elle arque un sourcil, les traits moqueurs. « Me voilà rassurée, j'ai pas envie que tu me vomisses dessus pour notre first date » elle s'amuse avant de désigner le manège d'un signe de tête. « C'est pas aussi marrant que Disney mais je peux me laisser convaincre de faire un tour ou deux. » Elle n'a pas oublié qu'il s'agira d'une future destination de voyage pour leur duo, où ils auront toute la liberté d'être deux gros gamins au milieu d'enfants de six ans. Elle se voit déjà hystérique devant la parade, avec ses 'omo' et ses expressions coréennes entrecroisées d'applaudissements et de grands éclats de rire émerveillés. D'ici là, il leur faudra se contenter de ce que Linz a de mieux à leur offrir, et en tout état de cause la distraction qu'offre Gianni suffit à elle-même : ce sera toujours mieux que de rester assise sur son banc à fixer le paysage devant elle. Prise d'une impulsion, elle se lève et attrape Gianni par la main pour l'entraîner à sa suite, un sourire enfantin accroché à ses lèvres. « Ca fait des années que j'ai pas fait de tour de manège ! » Ils attendent tranquillement que le manège s'arrête avant de monter dans l'une des nacelles. A cette heure-ci, les gosses sont déjà couchés et il n'y a qu'eux dedans. « On se croirait dans ton film, là, Before Sunset ». C'est le côté un peu poétique de se trouver dans un manège, seuls, la nuit tombée sur une ville pittoresque. « T'es sûr que tu vas réussir à tenir ton alcool Gianni ? » elle se moque de lui, tandis que le manège se met en route.

Gianni ne saurait pas vraiment dire si c'était la quiétude du centre-ville à cette heure ou juste le fait d'avoir traîné au bar un peu plus longtemps que prévu, mais il abordait cette fin de semaine d'un œil un peu méditatif. Comme s'il prenait tout à coup conscience de ce que les derniers jours tendaient à révéler en ce qui le concernait, sans qu'il sache si c'était une si bonne chose d'éprouver à nouveau ce manque indescriptible qu'il avait trop souvent connu au cours de sa vie. Parce qu'il n'avait jamais manqué de rien sinon des autres, et que c'était pas quelque chose qu'on pouvait facilement combler. Il oscillait ce soir entre deux humeurs contradictoires mais laissait transparaître sa sérénité habituelle, plus léger d'avoir pu mettre des mots sur des choses qu'il n'effleurait pas facilement, même si c'était juste à un type qui n'en avait compris que la moitié. Les gens d'ici avaient une bonne humeur communicative qui lui rappelait l'endroit d'où il venait, et cette pensée fut encore adoucie lorsqu'il se retrouva face à ce manège et qu'Aera lui apparut à son tour, dans un parallèle agréable à leur discussion de l'autre jour. « Une idée de la manière dont tu comptes acheter mon silence ? » Il souffla, sourire amusé sur les lèvres, comme s'il y avait la moindre chance pour qu'il puisse difficilement se laisser convaincre dans l'hypothèse où il songerait à briser sa couverture. L'occasion de s'interroger sur leur nouvel environnement et ces badauds qu'ils croisaient depuis le début de la semaine avec toujours cette même interrogation à l'esprit : est-ce qu'ils savaient, ou est-ce que l'illusion s'était juste étendue au-delà d'Hallstatt ? « Soit ça, soit la prod' avait prévu le coup et leur a coupé la télé depuis un mois. Les pauvres, toutes ces choses passionnantes qu'ils ont du rater, à tout juste cent kilomètres de chez eux... » L'idée lui tira un sourire en coin, forcé de reconnaître que ce serait non seulement assez invraisemblable, franchement triste, mais aussi révélateur du fait qu'aussi célèbre soit l'émission en Europe et au-delà, il y aurait toujours une part écrasante de la population qui ignorait ce qui se jouait entre les murs de leur huis clos, ce qui était plus rassurant que l'inverse de son point de vue. Mais maintenant qu'il y réfléchissait, c'est vrai que le type du bar n'avait pas du tout l'air d'avoir déjà vu sa tronche avant cette semaine, bien qu'il lui semble plus probable qu'ils soient juste entourés d'acteurs payés à faire semblant de rien. « T'es dure, il est pas si mal. Je regrette presque de pas pouvoir le présenter à Jill, à vrai dire. » L'italien souffla dans un sourire entendu et une pointe évidente de dérision dans la voix. Cela dit, autant Klaus était une erreur stratégique évidente dans sa petite entreprise de lui dégoter un copain, autant son alter-ego rajeuni et barman présentait un attrait différent. « Mais oui peut être, qui sait. » Il lui glissa un regard en coin, l'air de dire que c'était aussi bien probable que sa compagnie lui plaise simplement davantage et notamment parce qu'aussi sociable ait été ce type, du charme il était beaucoup plus susceptible de lui en trouver à elle. Et s'il avait effectivement bu un peu, ça ne devrait pas présenter trop de risques une fois montés dans le manège. « Un date où je commence à boire sans toi et où je te fais poireauter sur un banc... C'est qu'une impression où j'ai intérêt à me rattraper ? » L'italien s'amusa, pas certain que ce ne soit pas un peu trop anti-conventionnel, pour le coup, même d'après ses propres critères. Inviter une fille à faire un tour de manège, c'était clairement le genre de trucs qu'il se savait capable de faire dans ce genre de situations, mais envoyer paître son éducation à ce point, un peu moins. « En même temps, moi j'imagine pas grand chose de plus marrant que Disney. » Mais ça, c'était sûrement aussi parce qu'il en avait toujours entendu parler comme d'un truc dingue sans y avoir jamais lui-même mis les pieds. Il suffisait de voir l'impatience dans son regard depuis qu'ils avaient émis l'idée d'en faire leur prochaine destination, ne mentant pas en disant l'autre jour qu'il retomberait en enfance dans ce genre de contextes finalement assez éloignés de l'enfance plutôt stricte et cadrée qu'il avait eu. Lâché dans un parc à thème, c'est sûr, il voudrait tout voir, tout faire, et n'en repartir qu'une fois vidé de toute son énergie. Elle était pas prête pour ce qui l'attendait, Aera. Elle saisit justement sa main pour l'attirer jusqu'au manège, l'italien se laissant entraîner avec enthousiasme. « C'est pas trop dans l'esprit de Séoul ? » Il demanda, d'un air curieux, réalisant que lui aussi n'était plus monté dans ce genre de trucs depuis assez d'années pour s'être dit en arrivant qu'il ne quitterait pas Linz sans l'avoir fait. Une fois à bord, la remarque d'Aera lui tira un sourire amusé. « Prête à côtoyer les étoiles, Céline ? » Le coup du prénom, c'était un peu inévitable et un clin d’œil pas déplaisant au film. Et c'est vrai, de nuit au-dessus de Linz, ça avait tout de suite quelque chose d'un peu romanesque. L'attraction démarra et prit d'ors et déjà assez de vitesse pour que la taquinerie d'Aera tombe sous le sens. « J'ai survécu aux soirées étudiantes de New York, c'est pas un manège qui va... Woooow, la vache ! » La main sur une espèce de levier, il avait brusquement hissé la nacelle à plusieurs mètres de hauteur et lancé à Aera un regard hilare et un peu confus. Une première manière de s'assurer qu'ils avaient l'estomac bien accroché. « On devrait faire un jeu, où le gagnant prend le contrôle du vaisseau et lui fait faire tout ce qu'il veut. » L'idée lui valut d'étirer un sourire mutin, voyant trop d'occasions de rendre ça franchement cocasse – et peut être instructif, qui sait – maintenant qu'ils avaient cet instrument de pur sadisme entre les mains.

Gianni a ce don de pouvoir lui extirper des sourires même quand elle est d'humeur mélancolique d'une simple phrase ou quand il lui lance des petits regards moqueurs. Cette fois-ci ne fait absolument pas exception à la règle, et elle sent déjà son humeur s'alléger à sa seule présence. Son sourire s'élargit face à la perche qu'il tend le plus sereinement du monde, mais si en temps normal elle ne se ferait pas prier pour la saisir au vol, elle a décidé d'être un peu moins dans le flirt ostentatoire avec lui. « Je t'aurais bien proposé de te faire de bons petits plats mais c'est plutôt ton domaine à toi » elle se contente de répondre, moue moqueuse aux lèvres. Dans l'absolu, et dans son intérêt, il vaut mieux éviter qu'elle lui fasse la cuisine, on aura bien compris qu'il ne s'agit pas de sa spécialité même si elle grossit toujours un peu le trait histoire qu'on ne la force pas à se lancer dans une activité qu'elle exècre. « Tu crois qu'ils ont le bras suffisamment long pour ça ? Ca me paraît gros quand même. Je crois bien qu'on m'a reconnue tout à l'heure dans la rue, c'est le début de la célébrité » elle s'amuse avec son habituelle malice. Encore une fois, c'était sans doute davantage lié à la présence d'une asiatique au fin fond de l'Autriche qu'à sa potentielle notoriété de star de la télé-réalité (au moins) mais c'est toujours marrant de caser cette anecdote dans la conversation. C'est pas nécessairement un aspect dont elle se réjouit, ou dont elle a seulement envie, l'anonymat a toujours eu sa préférence et c'est probablement lié au fait qu'on l'en ait privée si violemment pendant plusieurs mois : elle a appris à apprécier la liberté que personne ne sache qui elle est et c'est précisément ce qu'elle a trouvé dans l'émission. Ca ne durera pas éternellement, et leur bulle est susceptible d'éclater à tout moment avec une sortie prématurée, mais pour l'instant c'est une issue qu'elle n'est pas prête à envisager. Aera, elle a envie de croire qu'elle a sa place dans le jeu et qu'on aura envie de la garder un peu plus longtemps, elle ne veut pas devoir composer avec l'idée de partir pour le moment, au stade où elle commence à réellement s'ouvrir aux autres sans rester dans la superficialité du départ. Elle arque un sourcil quand il mentionne l'idée de présenter son barman attitré à Jill. « Je vais prétendre que tu ne viens pas de dire ça, la vision de Jill avec un vieux me vend pas du rêve ». Elle affiche une moue dégoûtée à cette seule idée, parce que toute brat insupportable qu'elle soit, l'Américaine mérite probablement mieux qu'un vieil Autrichien au regard un peu lubrique. Peut-être qu'il ne ressemble pas à ça, mais dans sa tête, c'est trop tard, il est un croisement entre Emre et Klaus, et pas dans leurs meilleurs traits. « Partons du principe que ma compagnie est plus charmante » elle décide sans attendre sa validation, dans une tentative médiocre d'auto-flatter son égo. Dans le fond, elle croit pas que Gianni ait vraiment à se forcer, ils s'entendent bien et rebondissent facilement sur les propos de l'autre : il fait partie des personnes dont elle cherche le plus facilement la compagnie, certaine qu'elle trouvera une forme de réconfort, d'écoute et d'espièglerie qui font parfois défaut avec les autres. « T'as de la chance, je suis d'humeur conciliante, je te pardonne l'affront. Mais effectivement il va falloir upper ton game, c'est pas comme ça que tu vas arriver à tes fins. » Elle se moque gentiment de lui, mais ne doute pas que s'il cherchait vraiment à la séduire il s'y prendrait nettement mieux, il a forcément ça dans ses gênes de latin lover. Heureusement il n'est pas question de ça, mais plutôt de deux gosses qui s'emballent à la perspective d'aller un jour à Disneyland ou de faire ce soir un tour de manège comme s'ils avaient encore six ans. Elle tourne la tête vers lui à sa question. « C'est surtout qu'à 28 ans j'aurais vraiment l'air creepy à monter dans un manège où la moyenne d'âge dépasse pas les 5 ans » elle répond avant d'éclater de rire. Elle a toujours aimé ça, mais il faut bien se résoudre au fait que ce n'est simplement plus de son âge, à moins d'aller dans un parc à thème. « Tu sais qu'en Corée on a un parc à thème sur le fromage ? » Aucune idée de pourquoi elle pense à ça, d'autant qu'il n'y a pas de montagne russe ni de manège semblable à celui dans lequel ils viennent de monter, mais elle avait envie de partager cette information avec l'Italien. Elle saisit directement la référence qu'il fait à l'héroïne de Before Sunset et ne peut s'empêcher de répliquer. « Seulement avec toi, Jesse » elle lance avant d'afficher une moue peu convaincue. « Ouh c'était pitoyable. On sent que c'est pas trop mon truc, les répliques niaises » elle commente, armée d'un nouveau rire moqueur. Elle se considère comme une flirteuse de compétition, mais pour le reste elle a clairement matière à s'améliorer. Gianni tire un levier qui expédie leur nacelle à plusieurs mètres au-dessus du sol visiblement plus brusquement qu'il n'avait anticipé. Elle lui rend son regard hilare et plaque une main contre sa bouche pour couvrir le fou rire qui menace de s'échapper. « Bah alors Gianni, je te sens pas très serein d'un coup... » Elle se moque, mais n'est en vérité pas très rassurée par ce manège dont elle n'est pas certaine qu'il soit vraiment safe. C'est moins une question de vitesse, de hauteur, que de possibilité que leur nacelle soit éjectée parce que la machine n'aura pas été contrôlée. La seule mention d'un jeu suffit à faire pétiller son regard. « J'aime ce genre d'idée... » elle lâche, un sourire au coin des lèvres. Parce qu'il est évident qu'elle va gagner, premièrement parce qu'elle ne joue pas pour perdre, deuxièmement parce que Gianni n'est pas en parfaite possession de ses moyens, troisièmement parce qu'à l'inverse, elle est en pleine possession des siens et sait les utiliser à son avantage. « T'avais un jeu particulier en tête ? » elle demande alors, curieuse de savoir à quoi il aurait envie de jouer. Les options sont assez limitées vu l'endroit où ils se trouvent mais elle ne doute pas qu'il puisse faire preuve d'une grande créativité.

C'était pas comme s'il avait déjà monnayé son silence, trop incorruptible et du genre à préférer agir d'après ses principes et au cas par cas, mais ce serait pas vraiment eux si la discussion ne se teignait pas d'entrée de jeu de malice. Aera savait maintenant comment il fonctionnait, c'était pas ses sourires et ses allusions à peine voilées qui iraient la surprendre, Gianni était juste lui-même et elle avait cette capacité à faire ressortir ce coté un peu facétieux de sa personnalité. « T'as de la chance, c'est pas cette semaine que je peux théoriquement me mettre en grève. » Il souffla, un sourire amusé accroché aux lèvres, et ce rien de défi dans la voix au moment d'ajouter. « Mais j'oublie pas que tu dois encore parfaire mon éducation linguistique et m'apprendre d'autres mots en coréen. » Et il prit cette fois un petit air entendu, sous-entendant qu'ils n'en avaient peut être pas réellement reparlé mais qu'il n'avait pas oublié pour autant, trop enthousiaste à l'idée de se familiariser avec une langue qu'il avait sans doute autrement peu de chances d'apprendre un jour, en dépit de son goût très prononcé pour les voyages et du fait qu'il ait déjà confié avoir l'intention d'en enchaîné une fois certaines choses réglées. Gianni secoua la tête d'un air pensif, pas convaincu non plus que la production puisse détenir autant de pouvoir, quand bien même le seul fait qu'ils puissent investir un chalet et deux lofts au fin fond de l'Autriche laissait songeurs. C'est finalement sa précision qui lui valut de tourner son regard vers le sien d'un air rieur. « C'est dingue, et ça en n'ayant même pas quitté l'Autriche. A ce train-là, t'auras ton étoile sur Hollywood Boulevard avant qu'on ait eu le temps d'aller à Disney, j'espère que t'auras encore du temps pour ce genre de choses quand tu seras invitée chez Will Smith. » L'idée lui tira un rire, même pas certain de savoir si c'était un tant soit peu réaliste à défaut d'être probablement quelque chose qui fasse rêver Aera. Ils avaient assez discuté de ses envies et de la façon dont elle abordait les choses pour qu'il n'ait pas vraiment de doute sur le fait que ce genre d'existence toute en paillettes et sous le feu des projecteurs, c'était rien de moins que l'opposé de ce à quoi elle devait aspirer. C'est bien pour ça qu'il s'en amusait avec autant de légèreté. Son allusion à Jill sembla la laisser perplexe, et sans doute que ce nouveau prétendant était de toute façon trop éloigné des critères de préférence de l'américaine. « Je rêve ou tu viens d'insinuer qu'elle vaut mieux que ça ? » Il glissa, sourire au coin des lèvres, car loin d'ignorer que les rapports entre les deux candidates n'étaient pas au bout fixe. En temps normal il ne s'en serait pas mêlé, mais leur dynamique avait fini par l'intriguer au même titre qu'il était difficile de ne pas s'intéresser à chaque relation qui se nouait dans ce jeu. « De toute façon, j'ai bien compris qu'à moins de lui offrir Santo sur un plateau, aucun des prétendants que je pourrais lui soumettre ne trouvera grâce à ses yeux. » Et ça l'amusait, qu'elle puisse peut être surtout se montrer difficile parce qu'elle avait une idée de plus en plus précise du genre de mec qui lui plairait vraiment, quand bien même lui doutait toujours du fait que ça puisse tellement fonctionner, comme association. « Je te l'accorde pour cette fois. » Il reprit, un fin sourire entendu ponctuant sa remarque, prêt à concéder que la compagnie d'Aera puisse simplement lui être plus plaisante, quand il n'y avait rien de surprenant à ce que ce soit effectivement le cas. Au vu de leur entente et du fait que les moments qu'ils partageaient soient toujours portés par une malice mêlée à une agréable sensation de légèreté, sans pourtant qu'il soit jamais question d'effleurer les sujets qu'en substance. C'était ce qu'il appréciait aussi, de sentir que la pudeur des débuts avait laissé place à des confessions que lui ne poussait à ce point qu'avec ceux qu'il estimait ici. « C'est ça quand on n'a plus l'habitude et qu'on trouve rien de mieux pour remonter en selle que de donner rendez-vous à une fille que tout Linz reconnaît déjà dans la rue... Pas étonnant que j'ai eu besoin de me donner du courage. » Son air mutin ne tromperait personne, il se contentait d'entretenir la plaisanterie dans un élan d'auto-dérision assez manifeste, et sans qu'il faille rappeler qu'il avait sa propre vision d'un date et que ça n'incluait pas d'atterrir seul dans un bar avant même le début de la soirée. Monter dans un manège, par contre, c'était plus de l'ordre des choses qu'il irait spontanément faire, et pas que dans le cadre d'un date, son âme d'enfant étant toujours prête à ressurgir. « C'est dans ces moments-là qu'on est contents d'avoir des gamins dans son entourage, et même si maintenant tu leur fous plus la honte qu'autre chose à vouloir monter avec eux. » Il observa, entre deux rires, à peu près sûr que c'était pas normal d'avoir son âge et d'être déçu quand la fille de son ex-future-belle-soeur préférait monter toute seule plutôt que d'être accompagnée par l'un des seuls adultes du manège. Non pas que l'occasion se soit souvent présentée, de toute façon, c'est bien pour ça que les parcs à thème faisaient pétiller son regard de malice et d'envie. « Le fromage, sérieux ? Et ça donne quoi ? Parce que chez nous on lui voue un culte, j'ose pas imaginer le nombre d'italiens qui prendraient un aller simple pour la Corée s'ils en entendaient parler. » Ça le faisait rire, en tout cas, et c'est vrai le concept avait de quoi intriguer. Il ne savait pas lui-même si c'était juste parce qu'il trouvait l'idée loufoque ou s'il parviendrait à se laisser tenter par curiosité. Aera, elle, rebondit naturellement sur son allusion à Before Sunset. « Je suis déçu, je pensais que t'avais de l’entraînement avec tes comédies romantiques. » Il se moqua gentiment, lui lançant un regard amusé. « Imagine un peu qu'un jour tu dates vraiment un Jesse, et moi une Céline. Ça risque de nous faire bizarre. » C'était surtout amusant à s'imaginer, rien que parce qu'il supposait que ce genre de moments lui reviendraient tout de suite en mémoire, et même s'il ne doutait pas vraiment de s'en souvenir quoi qu'il en soit. La vie les rattraperait peut être tous à leur sortie, mais l'aventure et les moments partagés s'inscriraient sans doute dans quelque chose de plus intemporel, et l'idée lui plaisait. C'est alors qu'il propulsa leur nacelle à plusieurs mètres du sol d'un seul coup de levier, avec une puissance qui eut le don de le prendre de court. « C'est juste que j'imaginais pas que la caution imprévisible de ce date se manifesterait comme ça. » Il prétexta dans un fou rire, se moquant volontiers de lui-même parce que même féru de sensations fortes et pas sujet au vertige, il avait quand même quelques verres dans l'estomac et pas très envie de donner raison à Aera en vomissant ses tripes dans la nacelle. Finalement, il soumit l'idée d'un jeu qui aurait le mérite de pimenter un peu l'expérience, pas surpris qu'elle se dise partante. « Pourquoi pas « un mensonge et deux vérités » ? » Il proposa, sourire au coin des lèvres, songeant que c'était le genre de jeux auxquels ils n'auraient pas de mal à jouer même à dix mètres du sol. « On gagne si on trouve l'affirmation qui est fausse. » Tout simplement, et c'était l'occasion de se fendre d'anecdotes qu'il n'irait pas forcément partager spontanément d'ordinaire, autrement dit l'idée l'amusait. « Je commence. J'ai déjà porté les cheveux longs, j'ai déjà triché à un examen et j'ai déjà été raccompagné chez moi par les flics. » Il lança, assez facilement pour commencer, lui lançant un regard curieux.

Cette histoire de corvées qui doivent être réalisées par les hommes du jeu, ça l'amuse sans doute plus que ça ne devrait, Aera, même si elle essaie de ne pas trop en abuser. Elle profite surtout du fait qu'ils fassent la cuisine, car pour le reste elle sait se gérer comme une grande. « C'est vrai, et c'est pas pour me déplaire » elle confirme dans un sourire. Gianni sait déjà qu'une des plus grandes passions de sa vie consiste à manger et il s'avère qu'il est un excellent cuisinier qu'elle n'hésite pas à réquisitionner ponctuellement pour se nourrir d'autre chose que de riz. « 아 맞다 ! C'est vrai, j'avais déjà oublié. » Mais son sourire espiègle laisse entendre que l'oubli n'a rien d'accidentel, même si elle prend toujours plaisir à parler dans sa langue natale. « Mais il me semble que tu devais aussi m'apprendre l'italien... » elle lui rappelle avec malice. Jusqu'à présent, elle croit avoir capté quelques mots ici et là, ceux qu'elle entend le plus souvent dans le chalet par l'un ou l'autre italien, mais elle serait encore bien incapable de former une phrase complète. « Il va falloir reprendre nos cours privés alors... » Elle a toujours du mal à s'empêcher de glisser des double-sens ou des sous-entendus quand elle parle avec Gianni, même s'ils ont davantage vocation à agrémenter leurs discussions qu'à être sérieux. En l'occurrence, elle est prête à prendre ses cours privés très au sérieux et sans arrière-pensée, parce qu'elle aime bien apprendre, Aera, et qu'elle a toujours cru avoir une certaine aisance pour apprendre de nouvelles langues. « Tu pourras dire à tes potes que tu connais la superstar du dernier film hollywoodien, ça les fera rager » elle répond dans un rire, parce que de tous les scénarios à envisager sur son futur post-Thrown Dice, celui-ci doit être le plus éloigné de ses aspirations autant que de ses capacités. Elle n'est pas bonne actrice, n'ambitionne pas de l'être, et le monde des strass et paillettes a autant d'intérêt à ses yeux que celui des idols qu'elle a refusé de rejoindre quand elle était ado. Mais ça, Gianni le sait déjà : Aera n'aspire pas à la célébrité et n'envisage pas une seconde de capitaliser sur la notoriété éphémère qu'elle aura acquise en sortant du jeu. « Mais on pourra quand même aller à Disney, je serai en mode incognito » elle se marre, parce qu'en Occident, elle doute pas pouvoir passer inaperçu sans avoir besoin du moindre effort. De la même façon qu'à ses yeux, les occidentaux se ressemblent tous un peu, elle doit se fondre dans la masse aisément pour eux au milieu d'autres asiatiques. Gianni a l'air surpris de l'entendre commenter son choix pour Jill et elle tourne un regard moqueur vers lui. Visiblement lui aussi a l'air de penser qu'elle ne peut pas blairer l'Américaine quand elle est davantage dans l'indifférence et le sarcasme qu'autre chose quand il s'agit d'elle. Elle en est arrivée à la conclusion qu'elle n'avait pas vraiment envie de perdre son temps avec Jill, qui a l'air si manifestement hostile vis-à-vis d'elle sans qu'elle capte trop pourquoi. Elle n'a pas été exemplaire en permanence, Aera, mais dans l'ensemble elle a reconnu ses torts et s'est excusée pour l'histoire des verres à shot, elle voit pas trop pourquoi Jill s'acharne et ne fera pas le moindre effort pour comprendre. « Oui elle vaut mieux qu'un mec qui a l'âge de son père, indépendamment du fait qu'on soit pas les meilleures amies du jeu » elle se contente de répondre avec un sourire amusé. Quant au fait de lui offrir Santo sur un plateau, ça risque d'être un peu plus compliqué compte tenu du fait qu'elle le sent un peu plus intéressé par Kara que par Jill. « Et comme Santo n'est pas vraiment une option viable... » Jill est donc condamnée à continuer la séduction passive-agressive et à compenser son absence de succès avec Santo en forçant un rapprochement Lejla/Costa. C'est peut-être pour ça qu'elle peut pas la voir, maintenant qu'elle y pense, même si Aera n'a jamais été un obstacle ni même eu la volonté de l'être. Gianni met ses quelques verres sur le compte du stress d'un date et elle éclate de rire parce qu'il manque totalement de crédibilité. Elle, elle est convaincue que c'est dans ses gênes. « C'est bien, au moins tu peux t'entraîner avec moi pour être prêt pour ton prochain vrai date » elle souligne en lui jetant un regard entendu. C'est pour ça qu'elle aime bien leur espèce de relation, avec Gianni, parce qu'elle est assez confortable avec lui pour flirter et assez clairvoyante pour ne pas tomber dans le piège qui va souvent de paire avec ce comportement, et le faire comprendre ouvertement. « Il y a beaucoup d'enfants dans ton entourage ? » elle demande alors, déduisant la réponse au commentaire qu'il vient de faire. Elle peut l'imaginer, le Gianni, prétextant qu'il est là pour surveiller les gosses quand au fond, c'est lui qui se fait plaisir avec les manèges au grand dam des vrais enfants. « J'ai pas ce problème-là, j'avoue, j'ai pas d'enfant dans mon entourage. » Et comme elle n'est pas prête d'avoir des enfants de son côté, elle va devoir prendre son mal en patience avant de remonter sur un manège dans des circonstances comme celles-ci. Elle mentionne l'existence d'un parc à thème autour du fromage et ça a l'air d'intéresser Gianni. Evidemment, il n'y a bien que des asiats pour avoir une idée aussi conne que ça, mais le pire c'est que ça rencontre un certain succès. « Ouh, tu serais déçu je pense, on n'est pas vraiment experts en fromage chez moi. J'y suis jamais allée mais si c'est pour manger un truc industriel, comme du cheddar... » Le traumatisme de son année en Angleterre est encore bien présent, avec leur faux fromage qui lui donnait surtout envie de manger tout plutôt que ça. Alors elle n'ose même pas imaginer ce qu'un expert comme lui en penserait, en voyant ça. La référence à Before Sunset était une étape obligatoire dans leur petit tour de manège, et il s'avère qu'en matière de romantisme, Aera n'est pas particulièrement douée en dépit de l'entraînement que l'Italien souligne non sans amusement. « C'est vrai, c'est un peu décevant de ma part » elle concède avec dérision. Quant au fait de rencontrer de véritables Jesse et Céline... « On fera des double dates un peu awkward, ce sera marrant » elle propose en riant, même si la perspective n'est clairement pas attirante. Le manège prend de la hauteur et de la vitesse, tirant un nouveau rire espiègle à Aera en voyant Gianni se laisser surprendre par ce qu'il pensait sûrement être très tranquille. D'humeur joueuse, comme toujours, elle accepte sans hésiter la proposition de faire de ce tour un petit défi. Un mensonge et deux vérités, un classique. « Ok, ça me va » elle accepte avant qu'il ne se lance. Elle tourne la tête vers lui pour le sonder du regard, mais ses trois propositions ont l'air à la fois totalement improbables et totalement en adéquation avec le portrait qu'elle a réussi à composer au fur et à mesure de leurs échanges. « Mmmh... la troisième est un mensonge ? » elle offre, pas forcément convaincue – et surtout parce que si c'est vrai, elle serait curieuse de connaître toute l'histoire derrière. Mais elle suppose que son père l'aurait sûrement tué s'il s'était mis dans ce genre de situation, tandis que les deux premières paraissent davantage cohérentes avec ce qu'il a pu lui raconter. « Je suis gauchère, j'ai déjà remporté un concours de danse et je me suis déjà réveillée dans une autre ville sans savoir comment j'y étais arrivée » elle lance alors, un sourire malicieux accroché aux lèvres.

La façon dont Aera souligna l'idée que cette histoire de corvées n'était pas pour lui déplaire tira à Gianni un sourire entendu. Il connaissait leur passion commune pour les bonnes choses et mentirait s'il disait que ça ne lui faisait pas plaisir, de cuisiner pour quelqu'un qu'il savait capable d'apprécier l'énergie et la dévotion qu'il mettait dans ces recettes. Parce que depuis deux ans, c'était un peu plus que de la cuisine. Mais c'était bien trop tentant de lui rappeler cet engagement sous-entendu qu'ils avaient pris l'un envers l'autre, en entamant un apprentissage linguistique qu'ils avaient il est vrai un peu relayé au second plan. Son enthousiasme, lui, était toutefois intact. « Mais moi je te l'avais promis uniquement pour augmenter mes chances de te séduire rien qu'en cuisinant... » Il souffla dans un sourire mutin. Après tout, c'est elle qui s'était inquiétée qu'il puisse potentiellement arriver à ses fins en jouant sur ses talents de cuisiner, et même si elle le connaissait assez pour savoir que c'était pas son genre, de proposer de lui apprendre l'italien s'il n'en avait pas vraiment envie. Pour le reste, ces petits sous-entendus elle y était habituée, et sa propre remarque fit écho au ton de leurs échanges, tirant à Gianni un rire franc. « Attention, la dernière fois que j'ai entendu cette phrase c'était à la fac et... tu veux pas connaître la suite. » Il se marra, lui lançant un regard amusé qui laissait clairement entendre que c'était peut être lui qui tenait pas à rentrer dans les détails. C'est sa réputation de pseudo-lover qui ne risquait pas de s'arranger alors qu'elle était à ses yeux déjà exagérée depuis le départ. Toujours est-il qu'évidemment, il était partant pour qu'ils reprennent leurs bonnes résolutions, comme le laissa entendre le sourire plus fin qu'il étira. « De toute façon je m'attends déjà à ce que mes potes me harcèlent de questions à ma sortie, ne serait-ce que pour me faire croire qu'ils ont pas suivi religieusement les quotidiennes. » L'idée teinta son visage d'une expression attendrie, comme chaque fois qu'il pensait à cette deuxième famille un peu spéciale qu'il avait trouvé auprès d'eux, certains dans sa vie depuis l'adolescence ou avant, d'autres depuis plus récemment. « J'imagine que c'est pareil pour toi. » Elle avait évoqué ses amies la semaine passée et il les imaginait facilement débattre de l'aventure ensemble, et elles lui faire subir un vrai petit interrogatoire parce que c'était aussi ça, les amis. C'est pour ça qu'une partie de lui était presque plus impatiente de retrouver les siens que sa propre famille : parce qu'avec eux ce serait simple, léger. « J'essaierai de pas avoir l'air d'un gros fan et de résister à l'envie de nous prendre en selfie devant chaque attraction. Je voudrais pas griller ta couverture. » Il releva dans un sourire nettement amusé, imaginant sans mal qu'une fois pris dans l'effervescence de Disneyland, il aurait surtout du mal à tenir en place. Et c'est vrai, il ne s'attendait pas à ce qu'Aera rebondisse à sa remarque sur Jill de cette façon, pas parce qu'il la pensait incapable de compatir au sort de la candidate mais parce qu'il pensait qu'en dépit de l'huile que les chroniqueurs aimaient chaque fois mettre sur le feu, ce qui les habitait aujourd'hui était plus de l'indifférence qu'autre chose. Ce ne serait pas si improbable, ils entraient dans une phase du jeu où les affinités étaient déjà bien établies et où ceux qui n'avaient jamais tellement accroché ne voyaient pas forcément d'intérêt à faire d'efforts pour que ça change. Cela dit, ça lui ressemblait davantage de s'inquiéter de l'idée qu'il puisse songer à présenter à Jill un type qui avait l'âge d'être son père, quand c'était heureusement pas un projet qu'il nourrissait sérieusement. « Il paraît qu'elle aurait justement un penchant pour les DILF, alors forcément cette saison c'était un peu limité. » Il observa, un soupçon de malice dans la voix, justement parce que la caution masculine du casting ne cochait pas vraiment ce genre de cases. Il y avait de tout, mais celui qui se rapprochait le plus de cet idéal c'était Ashley et il doutait qu'il ait été son style. Quant à Santo, c'est vrai, il avait aussi tendance à l'imaginer plus facilement avec une fille comme Kara, qu'il avait un peu essayé de cuisiner à ce sujet durant leur date, parce que quoi que ça puisse donner il avait bien noté qu'elle semblait lui plaire. L'italien hocha alors doucement la tête, ayant du mal à avoir l'air crédible dans son rôle de type plus habitué à l'exercice du date, finissant par abdiquer dans un rire. « C'est sûr qu'on n'est pas à l'abri qu'une fille d'ici me reconnaisse aussi et décide de m'inviter au resto. Du coup, pas besoin de s’entraîner à faire la conversation, heureusement que la barrière de la langue ça peut avoir un coté romantique. » Il lui lança un regard amusé. C'était de toute façon pas le scénario le plus réaliste quand on savait qu'il lui faudrait déjà faire pas mal d'efforts pour capter qu'une fille de Linz lui proposait un date si elle l'accostait en allemand et malgré deux ou trois notions pas forcément utiles dans ce contexte. Cela dit, c'est vrai, ne pas se comprendre ça forçait à trouver d'autres moyens d'exprimer son attirance. Lui, il était précisément plus adepte des preuves et des actes que des belles paroles, mais pas sûr qu'il ait tellement envie de se lancer là-dedans. « Ceux de la sœur de mon ex, que je connais depuis qu'ils sont nés, et de quelques employés aussi. Ils jouent souvent autour de l'hôtel. » Là où lui jouait aussi étant gamin. Une pensée qui l'envahit d'une légère vague de nostalgie, parce que s'il avait effleuré son enfance la semaine passée, ces moments-là constitueraient toujours ses plus beaux souvenirs. « Tiens, je pensais qu'à notre âge on commençait à voir tous nos potes se marier et fonder une famille pendant que nous on se vautre dans notre incapacité à construire quelque chose. » Il s'amusa, sourire au coin des lèvres, quand elle avoua n'avoir de son coté pas d'enfants dans son entourage proche. C'est vrai qu'on pourrait croire qu'ils étaient en retard, avec la trentaine qui approchait doucement, mais si Gianni avait effectivement assisté au mariage de plusieurs de ses potes ces derniers ne lui avaient pas encore asséné le coup de grâce en devenant pères. Cette histoire de parc à thème autour du fromage piqua sa curiosité, encore renforcée par le fait que le fromage était un peu depuis toujours au centre de la cuisine italienne. « Ouh, sacrilège. Les anglophones ont vraiment décidé de déclarer la guerre à la bonne cuisine... » Il commenta, dans une grimace, pas surpris que ce genre de fromages se retrouvent popularisés au-delà des États-Unis ou du Royaume-Uni. Disons que le cheddar était au fromage ce que l'ananas était à la garniture pour pizza : au mieux une faute de goût, au pire une erreur impardonnable. Il faut dire que rien qu'à la Puglia, on produisait pas mal de fromages d'excellente qualité. Et sans que ce soit surprenant, son allusion à Before Sunset leur inspira quelques réparties, jusqu'à cette fausse proposition qui lui valut de prendre un air mi-curieux mi-sceptique. « Pourquoi j'ai déjà envie de les plaindre alors qu'on les connaît même pas encore ? » Il se mit à rire, voyant d'ici ce que ça pourrait donner et n'ayant aucune peine à se représenter le coté cocasse de la situation. Aera et lui passeraient sûrement tout le date à échanger des private jokes et à se tendre des perches qui n'amuseraient peut être pas autant les Jesse et Céline de leur histoire. Et parce qu'ils étaient trop joueurs l'un et l'autre pour se contenter d'un tour de manège aussi agité soit-il, ils tombèrent d'accord sur une idée de jeu et l'italien se lança, offrant trois affirmations dont deux seulement étaient véridiques. Aera y alla de sa petite théorie, et il secoua la tête. « Eh non, en vérité j'ai jamais porté les cheveux longs. On m'a déjà surnommé Lentiggini toute mon enfance à cause des tâches de rousseur, alors j'ai préféré exprimer ma rebel attitude autrement à l'adolescence. » Il glissa, dans un sourire entendu qui annonçait la suite. « Les flics, c'est juste moi qui fugue un peu trop longtemps pour attirer l'attention et mes parents qui font en sorte que ça me serve de leçon. » Parce que c'était le genre d'idées que pouvait avoir son père à l'époque, quand Gianni commençait à s'éloigner un peu du droit chemin, il est vrai principalement avec l'envie qu'on le remarque. Aera enchaîna avec ses propositions et l'italien l'observa, concentré, tentant d'estimer ce qui était le plus plausible d'après ce qu'il savait d'elle. Là comme ça, tout pourrait théoriquement coller à certaines de ses observations, mais il tenta une intuition. « Je dirais... que t'as jamais remporté de concours de danse ? » Il supposa, en lui lançant un regard curieux. En fait, c'était ce qui le surprendrait le plus pour la façon dont il se représentait ce genre de concours, assez loin de l'idée qu'il s'était faite d'Aera, mais si ça s'avérait vrai ça piquerait autant sa curiosité que la dernière proposition, amusante dans l'idée. « Bon, je suis sympa, je t'offre un deuxième essai. » Il prit un petit air malicieux au moment de souffler. « J'ai déjà baptisé une étoile à mon nom, j'ai déjà paumé ma voiture parce que j'avais trop bu pour me rappeler où je l'avais garée et j'ai déjà embrassé une fille dans un manège. » Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire mutin tandis qu'il lui glissa un petit regard.

Elle laisse échapper un rire amusé et rive un regard espiègle sur Gianni. « Pas besoin de te donner tant de mal pour me séduire, rien que de me faire à manger c'est un critère suffisant » elle s'amusa, comme si sa checklist pouvait être réduite à quelque chose d'aussi simple que ça. Elle a l'air un peu assistée sur les bords, Aera, à faire croire à tout le monde qu'elle est incapable de manger si on ne lui fait pas la cuisine, mais elle fait exprès d'en rajouter parce qu'elle a survécu des années en se faisant à manger toute seule comme une grande. Certes, c'est pas du niveau du chef italien à côté d'elle, mais son objectif tient moi à la qualité culinaire qu'au fait de lui remplir l'estomac pour quelques heures. La remarque qu'il fait, c'est le genre de choses qu'il ne faut pas lui dire parce qu'elle est maintenant obligée de rebondir dessus – et dans le fond, n'était-ce pas un peu l'objectif quand il l'a mentionné ? « Oh si si, je crois que j'ai très envie de connaître la suite au contraire » elle répond avec malice, en l'incitant à poursuivre sur ses explications. « Serais-tu en train de dire que tu donnais des cours... disons... très particuliers à certaines camarades ? » Parce qu'elle, c'est l'insinuation qu'elle a déduite de ses propos, et elle serait forcément déçue qu'il s'agisse d'un truc beaucoup plus sérieux. A moins qu'une fille ait tenté sa chance sous couvert de cours particuliers, et qu'il ait du se sortir de ce guêpier en usant de toute sa diplomatie. Dans un cas comme dans l'autre, son regard insistant laisse entendre qu'il ne se tirera pas de ses explications si facilement. Un nouveau rire lui échappe et elle ne peut pas s'empêcher d'imaginer ses propres amies faisant exactement la même chose que ceux de Gianni : prétendre ne pas avoir suivi l'aventure du début à la fin et l'obliger à tout leur raconter, avec force détails et en n'omettant absolument rien de chaque minuscule élément de ses journées. « Oh que oui. Je me prépare déjà à ne pas dormir pendant 72h, le temps de tout leur raconter » elle s'amuse à l'idée, fondamentalement pas déplaisante parce qu'après avoir passé autant de temps séparée d'elles, Aera aura surtout envie de rattraper tout le temps perdu en ne les quittant pas sans y être vraiment obligée. Elle s'attend aussi à ce que Ji Won ait pris des jours du congé à son boulot pour lui consacrer tout son temps. Et elle ne doute pas que sa meilleure amie aura des questions très, très précises à lui poser, notamment tout ce qui touche à ses relations avec certain(e)s candidat(e)s en particulier. « Tu parles, on se fondra au milieu de la masse de touristes qui feront exactement la même chose que nous. Y a plus de chance qu'on te reconnaisse toi, surtout ! » Forcément, Gianni ne passe pas inaperçu physiquement avec sa carrure et sa tête de beau gosse, nul doute qu'il doit déjà avoir un gros fanclub féminin prêt à tout pour traquer ses moindres faits et gestes. « Maintenant que j'y pense, c'est peut-être dangereux pour ma vie de m'afficher avec toi à Disney... » elle lance, feignant d'y réfléchir sérieusement. Elle connait le délire des sasaeng coréennes qui peuvent vite devenir tarées, mais il doit sûrement y en avoir un peu partout, pas que chez elle. Mais elle est prête à prendre le risque, Aera, parce que depuis qu'ils en ont parlé la semaine dernière, elle a bien gardé en tête le fait qu'ils iront à Disney ensemble, elle ne laisse plus vraiment le choix à l'italien maintenant. Elle s'étrangle à moitié quand Gianni parle de Jill et de son penchant pour les DILF, typiquement le genre d'infos qu'elle n'a pas envie de savoir parce que c'est le genre de truc qui la dérange un peu, Aera. Chacun fait bien ce qu'il veut, mais elle a toujours l'impression que s'intéresser à des vieux, c'est chercher à compenser un problème personnel et donc forcément pas sain. « Eww » fait-elle, dans une imitation parfaite de l'Américaine, jusqu'au regard mi-dégoûté, mi-blasé. « Pourtant c'était plutôt bien parti, entre Jethro et Ashley... mais bon, visiblement elle préfère le jeune éphèbe italien au daddy » elle note dans un rire. Et même si Aera ne roote pas pour eux, pour des raisons évidentes et totalement subjectives, elle n'est pas passée à côté de l'information pour autant. Gianni mentionne un potentiel date avec une fille qui l'aurait reconnu dans les rues de Linz. Franchement, c'est tout le mal qu'elle lui souhaite, même si devoir passer une soirée à se regarder dans le blanc des yeux sans avoir le droit de réellement communiquer lui paraît vraiment contreproductif. « Vous les italiens vous parlez avec les mains, pas besoin de parler avec la langue. » Consciente que ce qu'elle dit peut être vraiment, vraiment détourné, elle s'empresse de corriger avec un rire gêné. « T'as compris ce que je veux dire, tu réussirais quand même à te faire comprendre même si tu ne comprends pas un mot de ce qu'elle raconte » elle clarifie en lui jetant un regard amusé. « Mais comme de toute façon je crois qu'ils n'ont pas trop le droit de nous parler... » L'hypothèse que Gianni puisse rentrer au loft en charmante compagnie lui paraît du coup peu crédible, au grand dam – elle n'en doute pas – des touristes locales. L'italien lui parle des enfants qui gravitent autour de lui et ça lui rappelle que même s'il dit ne pas être prêt, elle le voit bien en père de famille dans quelques années, avec ses propres gamins s'amusant à proximité de l'hôtel. Pas qu'elle lui souhaite de ne pas faire quelque chose qui le passionne un peu plus, bien au contraire, mais elle n'a aucun mal à le visualiser dans cet environnement-là, peut-être parce qu'il donne toujours l'impression d'être très posé. Elle sait maintenant que ce n'est pas tout à fait la réalité, mais elle continue de se raccrocher un peu à cette idée sans bien savoir pourquoi. « Non moi je choisis mes potes précisément pour qu'ils ne collent pas à ces standards-là, histoire de me sentir moins seule » elle explique malicieusement. Ce qui aurait pu être vrai si ses potes, en l'occurrence, elle ne les connaissait pas depuis plus de 20 ans. Mais il s'avère qu'elles ont toutes un peu grandi de la même façon, en cherchant à s'échapper des modèles pré-construits de leur génération. Aera, elle représente le côté le plus extrême du spectre, par rapport à une Na Ri qui travaille dans une grosse boîte, ou une Ji Won qui n'est pas célibataire par choix et se rêve mère de famille, mais la finalité ne change pas : elles sont toutes loin d'avoir des enfants, sans pour autant rejeter l'idée. Aera ne peut que vigoureusement acquiescer sur la critique de la gastronomie anglophone, qui n'a pas trouvé grâce à ses yeux durant son année à Londres. Et pourtant, elle n'est pas difficile et se satisfait généralement de sa propre piètre cuisine, mais les anglais repoussent les limites de ce qu'il est acceptable de voir dans une assiette, comme les meat pies fourrées de rognons dont ils semblent très amateurs. Heureusement pour elle, la capitale anglaise regorge de restaurants qui ne se spécialisent pas dans la cuisine locale. « C'est quoi, la pire nourriture que t'aies vue à New York ? » elle demande alors, curieuse de savoir si ça peut réellement être pire que la cuisine anglaise. Elle esquisse un sourire malicieux à l'évocation d'un double date avec un Jesse et une Céline, et elle leur souhaite de ne jamais croiser leur chemin, parce qu'elle voit déjà le côté extrêmement gênant de ce moment à quatre, à devoir s'adapter à la complicité entre Gianni et Aera tout en trouvant leur place dans des discussions qu'ils ne comprendraient pas. « Mmmh, peut-être pas une si bonne idée finalement. Je raye tous les Jesse de ma liste, c'est plus prudent » elle affirme sérieusement, même si le sourire au coin des lèvres ne trompe personne. L'italien lance le jeu officiellement avec ses trois propositions, et Aera n'est pas si surprise que ça d'apprendre qu'elle s'est trompée. Le pire, c'est qu'il y avait bien pensé, à la première réponse, avant de l'écarter parce qu'elle la trouvait un peu moins improbable que la dernière. Faut croire que Gianni est réellement rempli de surprises et elle s'amuse gentiment de ce qu'il lui raconte. « Ca veut dire quoi Lentiggini ? » elle se renseigne, avant de pouffer de rire devant l'image qu'il dépeint du fugueur en quête d'attention. « Ils t'ont passé un savon quand les flics t'ont ramené du coup ? Au moins t'as eu ce que tu voulais, toute l'attention sur toi ! » elle se marre avant d'offrir ses propres propositions à Gianni. Et si elle était persuadée qu'il se tromperait, il donne pourtant la bonne réponse. Elle affiche une moue vexée de se faire battre, bien vite remplacée par sa malice habituelle. « Je suis arrivée deuxième à ce concours. J'avais 9 ans, et déjà compétitrice dans l'âme » elle reconnaît avec un sourire amusé à l'évocation de ce souvenir. Elle s'en était plainte pendant au moins une semaine, pas vraiment aidée par la déception que sa mère n'avait pas réussi à cacher. Plutôt que de s'annoncer gagnant, Gianni relance le jeu avec trois nouvelles propositions. Elle l'observe, comme si la réponse s'afficherait directement sur son sourire mutin, et elle se risque à deviner. « T'as jamais embrassé de fille dans un manège » elle affirme, presque aussi mutine et parce qu'elle ne peut pas croire qu'il ait donné cette proposition par hasard vu leur situation actuelle, perché au-dessus du vide dans un manège.

« Voilà pourquoi t'as émis cette requête hier soir dans la salle de distractions, parce que t'aimes qu'on te fasse la cour entre une assiette de penne et un ciambellone... » Il souffla, un sourire amusé sur les lèvres, en lui glissant un regard entendu. Et en bon latin lover, il avait naturellement tout l'attirail pour combler à la fois son cœur et son estomac. En réalité, Aera devait l'avoir compris depuis le temps, c'était pas beaucoup plus son genre de promettre des cours d'italien juste avec une idée derrière la tête que de cuisiner à des fins purement intéressées. Et il n'avait jamais compté exclusivement sur ses aptitudes en cuisine pour séduire une femme, ce qui sinon poserait quelques problèmes au vu du fait que la cuisine faisait partie de son boulot. Et comme il s'en était douté au moment de se fendre d'une remarque un peu équivoque, Aera ne passa pas à coté de l'occasion de réclamer des détails, lui tirant une moue amusée. « Disons que j'ai découvert plusieurs choses sur les filles de New York, notamment qu'elles sont du genre directes et qu'elles raffolent des européens. » Il généralisait évidemment pour la forme, mais c'était pas bien difficile d'imaginer le genre de situations dans lesquelles ça avait pu le placer, son regard teinté de malice comme premier indice de ce qui allait suivre. « Et comme cette attention était loin d'être désagréable et que j'étais pas contre l'idée de m'amuser un peu... oui, les cours particuliers étaient vraiment... particuliers. » Il ponctua, dans un rire. Et s'il avait quelques regrets aujourd'hui liés à son séjour à New York, ça n'avait rien à voir avec la manière dont il avait pu profiter d'une liberté à laquelle il n'avait jamais tellement goûté jusque là. Il avait vingt-et-un ans, et ça avait aussi quelques peu aidé à ce qu'il s'épanouisse dans ce vaste monde qu'était New York. Et si c'était pas tellement représentatif de la vie qu'il menait aujourd'hui, justement, Gianni n'avait pas honte de dire qu'il avait profité de sa jeunesse à quelques occasions. « Le sommeil, quand on est bien entouré, c'est surfait de toute façon. » Il glissa, l’œil amusé, lorsqu'Aera lui confirma qu'avec ses amies aussi elle risquait d'avoir quelques longues conversations autour de l'aventure. « De mon coté je serais déçu qu'ils en profitent pas pour m'inviter dans une pure pizzeria histoire de mettre toutes les chances de leur coté pour me soutirer des infos. » Ses lèvres étirèrent un sourire rieur, un peu comme s'il le disait avec l'envie que ses potes en prennent note dès maintenant. C'était jamais que le genre d'accord tacite qu'il avait passé avec eux dès qu'il avait décidé de s'inscrire : il leur raconterait tout, tant qu'ils s'assuraient que lui renoue avec les bonnes choses à sa sortie. « Je suis sûr qu'on risque pas grand chose, ni toi ni moi, après tout c'est pas comme si on avait ouvertement parlé de notre projet d'aller à Disney... » Il s'amusa, l'air de prendre conscience que la perspective devenait de plus en plus réelle et que quelques millions de personnes étaient accessoirement dans la confidence, quand en réalité c'était loin de l'inquiéter. Le risque, il était prêt à le prendre et il s'était beaucoup trop nourri de la perspective d'y aller avec Aera pour vouloir renoncer. « Cela dit, par précaution on peut toujours envisager de me couper les cheveux ou de me raser la barbe... » Il fit mine de considérer, sans toutefois contenir la légère grimace qui étira le coin de ses lèvres. Parce que c'était rien de moins qu'un truc qui lui ferait horreur, et qu'il vivrait mal au-delà de tout aspect esthétique. Ce serait compliqué, et pas un truc qu'il voudrait tellement expérimenter devant Aera, quand bien même elle l'avait déjà débarrassé d'une partie de sa pudeur par le passé et n'était pas la moins à même de comprendre, le moment venu. La barbe, c'était encore un peu différent, en se la rasant il aurait l'impression d'avoir vingt ans à nouveau et c'était pas une perspective tellement séduisante pour lui qui avait vraiment commencé à se sentir mûr une fois qu'il l'avait laissée pousser. La réaction d'Aera à l'évocation des probables penchants de Jill pour les hommes plus âgés lui tira un rire, autant parce que c'était pas non plus le sujet qu'il avait le plus de facilité à évoquer que parce que sa conclusion au sujet de Santo résumait finalement bien la situation. « Justement peut être parce qu'avec sa casquette de jeune papa, il modernise à lui seul l'image un peu vieillissante du DILF traditionnel. » Il supposa, dans un sourire malicieux. La théorie se tenait, après tout, et il fallait bien avouer que Santo ne manquait pas d'atouts pour plaire aux gamines sorties de l'adolescence. La perspective d'un date avec une fille de Linz n'était quant à elle pas nécessairement déplaisante, mais Aera le connaissait assez pour savoir que cette histoire de barrière de la langue finirait sûrement par poser problème – notamment pendant la phase de découverte qu'ils évoquaient l'autre fois et à laquelle Gianni avait confié être attaché. Mais quoi qu'elle ait probablement voulu dire, il fut difficile pour l'italien de ne pas mal-interpréter sa remarque, comme en témoigna son rire teinté de surprise et son haussement de sourcil curieux. « Hmmm, c'est vrai que ce serait sûrement pas raisonnable d'y mêler une histoire de langue dès le premier rendez-vous, les clichés sont suffisamment durs comme ça avec les italiens... » Il clama entre deux rires, lui jetant un regard amusé, bon public pour ce genre de choses précisément parce qu'il était assez loin d'être pendant ce genre de rendez-vous tel qu'on avait tendance à l'imaginer. « Mais ouais, j'ai bien l'impression qu'ils ont fait vœu de silence. Et c'est sûrement pas plus mal tant qu'on sait pas exactement quelles infos ils possèdent à l'extérieur. Ce serait con de se faire spoiler un secret pendant un date. » L'idée lui tira cependant un sourire entendu, parce que ça lui paraissait peu crédible, même dans l'hypothèse où certains habitants seraient familiarisés avec l'anglais. Évoquer les enfants qui faisaient partie de son entourage raviva son lot de souvenirs, inévitablement, teintant son regard d'une légère nostalgie. Il supposait dans un élan d'optimisme qu'un jour c'était ses propres enfants qu'il évoquerait avec une douceur encore plus particulière dans la voix, ayant toujours aimé entendre la façon dont les autres évoquaient les leurs. La confession d'Aera lui tira quant à elle un rire, pas surpris qu'elle parvienne à ironiser sur la question quand c'était un peu leur truc depuis le départ, de se jouer des conventions. « Et si l'une d'entre vous finit quand même par fonder une famille, vous lui organiserez une jolie baby shower avant de l'exclure du groupe ? » Son sourire empreint de malice ne la tromperait pas sur le peu de sérieux derrière sa question : Gianni ne l'imaginait déjà pas capable de se détourner d'une amie même sans ces histoires de standards, et il n'avait aucun mal à l'imaginer dans ce rôle-là un jour, troquant les histoires autour de l'aventure – sans doute à ce moment-là beaucoup trop loin dans ses souvenirs – contre des discussions qu'avaient les mères entre elles. Il garda cette pensée pour lui, et n'eut ensuite aucun mal à relater que les anglophones et la cuisine, c'était souvent une association périlleuse. « Je suis obligé de donner la même réponse qu'à Santo y'a quelques semaines : le burgerizza. Plus pour le principe que pour le goût, parce que pour être honnête ça en a pas tellement... » Rien de surprenant quand on créait un hybride à partir de deux plats qui n'avaient rien à faire ensemble. On pourrait l'accuser de manquer d'objectivité et c'était sûrement le cas, mais il avait fait l'effort de goûter lorsqu'un jour trois de ses potes de fac lui avaient vendu le concept comme quelque chose qu'un italien ne pouvait trouver que génial. Autant dire que ce jour-là, tout le monde avait été déçu de l'expérience. « Sage décision. Je ferais sûrement mieux de me méfier aussi, si on va à Paris. Ça doit grouiller de Céline, là-bas. » Il concéda, un sourire amusé au coin des lèvres, au sujet de ces Jesse et Céline à qui il valait définitivement mieux épargner cette idée de double date qui risquait de traumatiser deux innocents. Leur jeu lancé, ils s'employèrent à démêler le vrai du faux, Gianni finissant par rétablir la vérité au sujet de cette histoire de cheveux longs. « Tâches de rousseur dans l'usage commun qu'on fait du mot, même si on a tendance à préférer Efelidi. Mais pour des gosses encore plus que pour des adultes, c'est du pareil au même. » Il confia, pas mécontent qu'on ait laissé tomber ce genre de surnoms depuis maintenant un bout de temps, prenant ensuite un air amusé quant à cette histoire de fugue il est vrai suivie d'un savon en règles. « Oh, t'as pas idée. Mon père m'a plus adressé la parole pendant deux jours après ça, je te raconte pas l'ambiance. » Pour sûr qu'ils étaient glaçants, les silences de son père, pendant les dîners de famille. Et quand il ne disait rien c'était généralement qu'il n'en pensait pas moins, étant déjà plutôt intimidant entre sa figure de patriarche et son aura de grand patron, survivant encore à son départ en retraite même aujourd'hui. Gianni fut quant à lui satisfait d'être tombé juste entre les trois propositions d'Aera, un résultat qui flatta son ego de joueur mais vit surtout ressurgir sa curiosité naturelle face à l'intérêt que suscita chez lui sa confession. « Et ça te plaisait, la danse en compétition ? Ou au fond de toi t'avais surtout envie d'être la meilleure ? » L'un n'empêchait évidemment pas l'autre, et l'image d'une Aera en pleine compétition de danse lui tira un sourire plus doux. Il ne l'aurait peut être pas imaginée là-dedans, et pourtant il devait reconnaître que ça collait avec la détermination sans borne qu'il lui connaissait. « Et donc, tu t'es réveillée dans une autre ville sans savoir comment t'y étais arrivée ? » Il releva, dans une moue entendue. Ce détail-là aussi l'avait rendu curieux, même s'il n'imaginait pas forcément une anecdote digne d'un fait divers. Ça aurait sûrement le mérite d'être amusant, en tout cas. Et tandis qu'il relança, l'écho de ses propositions flottant une seconde autour d'eux, c'est sans qu'il s'en étonne qu'Aera effleura la vérité, non sans qu'elle paraisse relativement évidente à ce stade. C'était pas une confession anodine et il pouvait lire dans son regard qu'elle l'avait compris. « C'est vrai. » Il souffla, son sourire s'étirant doucement tandis que son regard rechercha le sien, peut être pour s'assurer qu'il initierait aucun geste qui puisse lui sembler malvenu. Elle le connaissait, savait qu'il n'était pas prêt à tout, même pour un jeu et même si d'extérieur ça pouvait avoir l'air d'un défi idiot, ou de l'initiative d'un type qui avait un peu bu. Il y avait peut être un peu de ça, mais Gianni y voyait surtout l'occasion de livrer, montrer un peu plus que d'ordinaire, quand dans ce jeu et auprès de tout le monde il avait plutôt tendance à contenir, beaucoup. Le cadre, quant à lui, était assez idéal. Il ne sut finalement pas vraiment quelle raison prima sur les autres au moment où il glissa délicatement une main contre sa nuque, puis approcha son visage du sien pour poser ses lèvres sur les siennes. Il l'embrassa doucement, d'une manière qui ne se ferait pas juste l'écho de sa confession d'il y a une minute. C'était pas un baiser pour un baiser, mais une manière d'exprimer une attirance, au regard de leurs échanges et parce qu'il n'oubliait pas les nominations, le reste, et que c'était aussi sa façon de se montrer tel qu'il était. Un peu perdu dans sa manière d'appréhender certaines choses qu'il avait pu confier cette semaine, certaines autres qu'il aimerait confier sans le pouvoir. C'était un geste sincère, mais pas un geste rempli de naïveté, parce qu'il savait qu'ils mettraient sûrement ça sur le compte de cette soirée sur le moment. Gianni se détacha après quelques secondes, ses lèvres retrouvant l'esquisse d'un sourire doux, légèrement insondable, et ses poumons se remplissant d'air frais. « Je crois que t'as largement eu tes deux tours. » Il glissa, malicieux, dans l'hypothèse où elle préférerait descendre.

« Exactement. On a encore jamais trouvé mieux pour me séduire » elle confirme dans un rire, même si en soi elle n'a pas vraiment expérimenté par le passé. Ses ex se contentaient le plus souvent de l'amener au resto, ce qui ne la dérangeait pas plus que ça pourvu que la nourriture soit bonne, mais elle n'a jamais côtoyé de vrai cuisinier. Gianni apporte un changement rafraîchissant en la matière, avec ses talents en cuisine. « Puis t'es le seul qui le ferais en plus... » elle ajoute, la moue boudeuse, parce que tout le monde a l'air de faire des trucs pour tout le monde dans ce jeu, y compris à manger, mais que visiblement les autres candidats ont loupé le mémo qui indiquait qu'Aera aussi aime ce genre de choses. A part Santo avec sa glace, mais est-ce que ça compte vraiment, dans le fond ? Il se plie à l'exercice de l'anecdote plus facilement qu'elle ne l'aurait pensé, et sa première intuition était visiblement correcte : les cours particuliers se sont sans doute déroulés entre des draps, ce qui la surprend un peu. Elle oublie parfois que Gianni, ça reste un homme qui aime séduire même si elle suppose que le contexte de New York était différent de l'actuel. Quant à apprendre que les Américaines sont très directes, pour le coup ça ne l'étonne pas le moins du monde. Même en Asie, elles ont cette réputation, c'est simplement qu'elles sont moins sensibles au charme asiatique – si on excepte les koreaboo qui n'ont que le mot oppa à la bouche, le genre de comportement qui lui fait systématiquement lever les yeux au ciel. « Faut que je fasse gaffe alors, tu risquerais de mal interpréter ma proposition parfaitement innocente de cours particuliers » elle répond en lui jetant un regard espiègle, comme s'il lui serait de toute façon venu en tête de les proposer en tête-à-tête dans un endroit clos. Pas vraiment le genre, même si elle se connait assez pour savoir que le risque serait très réduit de voir les choses prendre une autre tournure. Elle retient un autre commentaire douteux sur la réponse de Gianni – elle ne sait plus à ce stade si elle a l'esprit mal placé ou s'il fait exprès de jouer sur les mots, dans un cas comme dans l'autre ça a le mérite d'être divertissant – et préfère secouer la tête d'un signe de tête. « Parle pour toi, si j'ai pas mes 8h de beauty sleep je suis un monstre. » Et pas que parce que son visage marque immédiatement la fatigue à grand renfort de valises sous les yeux, mais aussi parce qu'elle se montre toujours d'humeur exécrable quand c'est le cas, et préfère du coup s'isoler dans son coin pour ne pas imposer sa compagnie aux autres. Ji Won, c'est un peu différent : elle est aussi chiante qu'Aera, ça fonctionne parfaitement comme duo, et surtout elle ne se laisse pas faire par le côté sauvage de la fille en manque de sommeil. « Toi aussi pour t'atteindre il suffit de t'amadouer avec de la nourriture ? » elle demande l'air de rien, en songeant qu'elle partagera peut-être l'info avec Maci, si ça peut l'aider à éveiller l'intérêt de Gianni pour elle. « C'est quoi ta pizza préférée ? » Probablement une dépourvue d'ananas, au grand soulagement des amateurs de gastronomie qui voient dans cet ajout une véritable hérésie. L'ironie dont il fait preuve lui tire un rire et il faut reconnaître qu'ils n'auraient pas pu plus mal s'y prendre pour leur projet Disney incognito, même si elle ne doute pas que tout le monde aura mieux à faire que de tenter de les traquer. Leur célébrité, déjà éphémère par nature, s'étiolera jusqu'à disparaître complètement dans quelques semaines au mieux, quelques mois au pire. Elle affiche un regard outré à la perspective qu'il se rase la barbe, comme si c'était la pire idée au monde et secoue la tête. « Ca va pas non ! Je préfère subir le flot de tes fangirls toute la journée que de te voir sans barbe. » Ca fait partie intégrante de son charme, même si de base Aera n'en est pas franchement amatrice – la faute au culte de l'androgynie coréenne, où les hommes peinent déjà à être vraiment virils à cause de leurs standards de beauté. Dans le genre imberbe, on trouve aussi Santo, le DILF préféré de Jill et une association qui lui fait lever les yeux au ciel. De façon générale, Jill lui fait lever les yeux au ciel par sa seule présence, mais le fait qu'ils aient pu arriver deuxièmes de l'award couple qu'on aimerait voir se former et que Kara et lui ne soient que troisièmes, ça l'a un peu blasée, surtout parce que ça donne raison à Jill et que c'est pas une perspective qui l'enchante particulièrement. Comme quoi, les téléspectateurs sont pas dans leur quotidien, sans quoi ils sauraient que Santo, y a que Kara pour lui dans le jeu. « Peut-être oui, même si je verrai jamais Santo sous cet angle » elle répond dans un rire. Il a beau avoir un fils, il n'a pas le profil standard du père de famille qu'elle imagine dans sa tête. Elle affiche une moue embarrassée par ce qu'elle vient de lui sortir et combien il est facile de détourner le propos, avec cette perspective de date avec une locale. « Je rappelle que l'anglais n'est pas ma langue maternelle » elle précise dans un nouvel éclat de rire, même si son accent à lui seul suffit à en apporter la preuve. « Oh t'imagines n'empêche ? T'es en date avec une fille canon, tout se passe bien, vous vous comprenez par le regard et quelques mots baragouinés en anglais... et d'un coup elle te balance le secret de, genre, Louis. Je trouverais ça très marrant moi ! » Et il faut dire ce qui est : ça l'arrangerait bien de pouvoir bénéficier d'un tel loupé histoire de l'aider dans sa quête de secrets. Ses deux tentatives de la semaine l'ont certes mise sur une voie, mais certainement pas de là à aller jusqu'au bout de ses réflexions, ce qui devient d'autant plus frustrant que tout le monde à côté a l'air de moins galérer qu'elle. Au moins, elle peut se rassurer en songeant que Gianni n'a jamais donné le sentiment d'être captivé par la chasse aux secrets et qu'elle est toujours plus investie que lui. La question, un rien moqueuse, qu'il pose sur la perspective d'une grossesse dans son groupe d'amis lui vaut de s'attirer un regard amusé. « Pourquoi perdre mon temps à organiser une baby shower ? Elle sera directement exclue. Je ne veux que des célibataires sans enfant dans mon groupe » elle proclame, avant de reprendre. « Non, plus sérieusement ça s'est juste fait comme ça, je serais ravie que l'une d'elle tombe enceinte. Tant que c'est pas moi. » Pas maintenant en tout cas, et les pronostics vont bon train entre elles pour tenter de deviner dans quel ordre elles finiront enfin par se caser et avoir des enfants. Bizarrement, Aera arrive toujours au bas de la liste, alors même qu'elle n'est pas la plus fermée à l'idée comparée à Mi Sun qui passe son temps à répéter qu'elle ne veut pas entendre parler de grossesse. Gianni lui confie la pire nourriture qu'il ait trouvée à New York et elle affiche une moue dégoûtée. Il y a trop de choses qui ne vont pas dans cette association. Elle n'est pas portée fast food de base, et ne consomme pas vraiment de burgers au quotidien – ni de pizza d'ailleurs – mais les voir ensemble ça lui soulèverait presque le cœur. Comme d'habitude, les Américains vivent pour l'excès et faut bien admettre que ça en dit long sur la culture locale même si elle a pour habitude de ne pas généraliser. « Je crois que tu viens de m'arracher un morceau de mon âme » elle lâche, dramatique à souhait. « C'est possible de trouver de la nourriture saine à New York ? Des légumes, ce genre de choses ? » Et si le ton est sarcastique, la question ne l'est pas tant parce qu'elle a l'impression qu'aux Etats-Unis, ils ne mangent que ce qui est excessivement calorique et fuient le concept de légumes. « Ah parce que tu prévois qu'on aille ensemble à Paris ? » elle relève dans un sourire malicieux. Il sait qu'elle a envie d'y aller, ils en ont parlé la semaine précédente, mais ça rendrait tout le concept du double date imaginaire nettement plus étrange, quoique cocasse. Elle ne sait pas très quels sont les prénoms locaux, si on peut croiser des Céline à chaque coin de rue ou non. Dans le doute, il est probablement préférable de se tenir à distance de la capitale française. Gianni lui explique le sens de lentiggini, qu'elle a répété avec un accent coréen à couper au couteau, et elle acquiesce en fixant du regard les tâches de rousseur effectivement caractéristiques de l'italien. Il mentionne la réaction de son père à sa fugue et elle grimace, un peu désolée pour lui. « Aïe... bon, l'essentiel c'est qu'il s'en soit remis depuis » elle répond avec un sourire. Vu leurs relations actuelles, l'épisode de la fugue doit avoir été laissé de côté depuis un moment. Il trouve la bonne proposition parmi les siennes et à la question, elle secoue la tête. « C'était très exceptionnel, même si j'aime la compétition j'ai jamais sérieusement pratiqué. Il y avait juste ce concours, et j'ai voulu me lancer alors que je prenais pas de cours ni rien. » C'était censé être pour le fun, même si son esprit compétiteur a vite pris le pas sur le reste. La déception a été un peu dure à dépasser les premiers jours, avant qu'elle ne relègue ça dans un coin de sa tête. Forcément, Gianni relève la troisième proposition et elle n'a pas d'autre choix que de rire, un peu gênée par cette histoire. « Sans trop rentrer dans les détails, j'avais beaucoup bu et avec ma meilleure amie on a décidé d'aller à Busan sur un coup de tête. C'est elle qui m'a raconté, parce qu'évidemment j'avais aucun souvenir de ma soirée même si c'est le genre d'idée qui me ressemble bien. » Les mauvaises idées, s'entend, surtout quand elle a beaucoup bu comme c'était le cas. Cela dit, elle se souvient d'un weekend mémorable à Busan, entre gueule de bois et promenades sur la plage. Gianni relance le jeu et elle n'a pas grande hésitation sur la réponse à choisir, qu'il confirme dans un souffle avant de plonger son regard dans le sien. Le sourire malicieux s'efface, remplacé par une moue interrogatrice avant qu'il ne pose une main dans sa nuque et ses lèvres contre les siennes. Surprise, elle se laisse faire doucement et lui jette un regard curieux lorsqu'il se détache d'elle. Le baiser n'a rien de désagréable, bien au contraire, c'est à peu près ce qu'elle aurait imaginé si elle avait pu anticiper ce geste, mais elle n'a évidemment pas pu le faire parce qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'il l'embrasse. L'idée qu'elle a peut-être manqué des signaux lui traverse inévitablement l'esprit, parce qu'elle est toujours partie du principe qu'entre eux, ça tenait davantage du flirt innocent que d'autre chose. Un peu confuse, elle se risque malgré tout à un sourire. « Ah, quelqu'un s'est laissé emporter par le côté romantique du manège » elle plaisante, même si le regard de Gianni lui donne l'impression que sous l'impulsion du moment se cache quelque chose d'autre, d'un peu plus réfléchi, d'un peu moins anodin. Elle ne sait pas trop quoi faire d'elle, ou quoi dire qui ne rendrait pas la situation gênante, mais elle a conscience qu'il y a quand même un point qui mériterait d'être mentionné, simplement par honnêteté. « C'est un peu délicat de dire ça maintenant, mais je voudrais pas que tu penses que je l'ai volontairement caché... » elle amorce, un peu nerveuse. « On s'est embrassés avec Costa dans la loveroom. » C'est la première fois qu'elle le dit ouvertement, et c'est pas forcément le contexte qu'elle imaginait pour le faire. « Et même si ça voulait sûrement pas dire grand-chose pour lui, je suis pas encore très au clair sur... tout ça. » Ils n'en ont pas reparlé, et même si Aera voudrait prétendre que c'était totalement insignifiant, pour elle ça ne l'est pas, encore moins après la discussion qu'ils ont eue. « Voilà, tu fais ce que tu veux de l'information, je sais pas trop quelle était l'intention derrière ton baiser mais j'aurais trouvé ça malhonnête de pas te le dire. » Elle ne s'attendait pas à se retrouver dans cette situation, Aera, et elle ne sait pas trop quoi dire sans avoir l'impression d'en faire des caisses ou d'accorder, dans un cas comme dans l'autre, trop d'importance à quelque chose qui n'en a pas tant, ni pour Costa, ni pour Gianni. « Ne crois pas que tu me plais pas, j'ai toujours été assez transparente là-dessus, mais c'est un peu compliqué en ce moment. » Et par compliqué, elle veut surtout dire qu'elle est dans une phase extrême de déni par rapport à Costa, où elle tente de rejeter désespérément l'idée qu'elle soit en train de s'attacher à lui autrement qu'amicalement, en dépit de tous ses efforts pour ne pas le faire. « En tout cas c'était clairement pas la pire façon de conclure notre tour de manège » elle ajoute finalement, pour dédramatiser un peu la situation. Elle tourne le regard vers lui, à la fois amusée et déstabilisée (deux états d'esprit qui cohabitent difficilement) par ce qu'il vient de se passer. Devoir gérer ses émotions par rapport à Costa tenait déjà de l'exercice complexe, mais ajouter Gianni à l'équation rajoute un degré supplémentaire auquel elle n'était pas préparée, sans bien savoir si elle a volontairement éludé la possibilité dans son esprit ou si elle n'a vraiment rien vu avant. « Oui je crois aussi, on ferait sûrement mieux de redescendre » elle confirme dans un nouveau sourire, comme s'il suffisait de ça pour clore la parenthèse alors qu'elle sait déjà qu'elle va passer les prochains jours à cogiter tout ce qu'il vient de se passer et comment elle se situe par rapport à ça.