RÉVÉLATION N°3 - ARYEL/STELLA

apparition du Maître sur l'écran du salon.
tous les candidats viennent de s'y réunir.

J’entends William nous convoquer au salon. Je sais exactement ce qui se produira. Je n’ai pas le choix d’y aller. Au moment même où j’avais refermé la porte du confessionnal, marqué par le dernier échange visuel avec Aryel, j’avais cherché une porte de sortie. J’avais, pendant un instant, désiré partir de cette île, de cette émission. Ce qui ne fait aucun sens lorsque j’y pense. Je crois que la honte et la déception de ma propre personne seraient encore pires si je venais à abandonner maintenant. Quitter l’émission serait automatiquement de donner raison que je suis une cause perdue. L’abandon n’a jamais été une option, même lorsque j’ai été au plus bas. Je souffle, jetant un coup d’œil à mon reflet dans le miroir, défroissant la robe que j’ai sur le dos, replaçant finalement mes cheveux derrière mes oreilles. J’arrive au salon, le dos toujours aussi droit, le regard toujours aussi froid. Le contraste entre ce que je projette et ce qui se passe à l’intérieur de moi est étourdissant. J’écoute Aryel avec appréhension alors que je sais très bien ce qu’il est sur le point de dévoiler. Névroses obsessionnelles. Je sens mon cœur s’emporter, ma tension artérielle faisant un bon anormal. On dirait qu’il en prend plaisir. Je mordille l’intérieur de ma joue pour canaliser mon énergie et surtout me concentrer sur ce que je vais dire alors qu’il termine son énoncé. « Je suis perfectionniste. Mais pas dans le sens que je veux juste que les choses soient bien faites et que j’aime quand il n’y a aucun pli sur ma chemise. Non, ça, c’est à la limite positif. Les gens utilisent généralement ce terme lorsqu’il passe un entretien d’embauche et qu’ils veulent épater les patrons. Dans notre société hyper productive et ultra performante, pour plusieurs, le perfectionnisme est un gage de réussite. Et c’est aussi de cette façon que je le projette. Je me valorise dans mes succès, tout en ayant de la difficulté à faire face à la lourdeur que ça me procure. » Je ne regarde plus Aryel pour l’instant, fixant un point au loin, le focus de mes pensées étant sur le fait de bien dire les choses et de surtout, surtout, ne pas tomber en état de crise devant eux, dans le salon. « Mon père est celui qui a confirmé le diagnostic il y a plusieurs années maintenant. Il l’avait remarqué, il le savait depuis que j’étais jeune. » Une boule se forme au fond de mon estomac. J’ai honnêtement envie de vomir. « T’as raison. Mon obsession pour la perfection me ruine la vie. » je finis par avouer, sans réellement l’assumer. Voilà. C’est dit. J’ai pris soin d’éviter de m’étaler sur les raisons qui m’ont poussé jusqu’ici, sur les événements qui sont étroitement liés à ce trouble mental que je me trimballe depuis l’enfance. Ça ne regarde personne et si je décide de me confier, ce sera lorsque je me sentirai prête, avec les personnes de mon choix. Pas parce que j’aurai été obligé par la production. Ils peuvent contrôler beaucoup de choses, mais pas ça. Je me lève, m’avance vers Aryel pour accrocher mon regard une dernière fois au sien. J’aurais envie d’aller faire claquer ma main contre sa joue pour son attitude de connard. Mais il faut croire que même dans la chute libre, j’arrive encore à me retenir sur certaines envies. « Parfaite. » je souffle, dans un murmure, comme il l’avait lui-même fait la semaine dernière. Sauf que ce mot unique est chargé d’amertume, d’un peu de sarcasme, mais surtout, finalement, de détresse. C’est ça le pire. Admettre le nœud du problème. Les autres, ils ne comprendront pas. Ils vont me juger. Je deviendrai le clou du spectacle, le ridicule de l’émission, l’idiote de service. Je cherche mon souffle, ma respiration me faisant faux bond, ne voulant plus se coordonner avec mes besoins en oxygène. Je tourne les talons, je dois absolument partir d’ici. J’étouffe.