le jeu du caillou (21/07. 21:00)

Les heures passent et se ressemblent toutes. Ils sont là, à tourner comme des lions en cage, cherchant désespérément chez les autres un soutien ou une occupation. Salomé déteste être inactive. Non pas qu'elle soit particulièrement hyperactive, mais elle avait toujours eu pour habitude d'être occupée. De se rendre utile. D'avoir quelque chose à faire. Elle soupira doucement, les genoux repliés sous son menton, assise sur les sièges instables de cette salle trop vieille. Elle se sent parfois... Isolée, tout en étant entourée. Pourtant elle apprécie d'avoir tant de gens autour d'elle, simplement parlé que ça lui rappelle chez elle. A quelle semaine sont-ils ? La quatrième ? Alors ils doivent être en Croatie. Ils sont peut-être même en train de préparer le prochain voyage. Un cirque ça reste une semaine, rarement deux. Surtout le leur. Ils ont l'habitude de bouger tout le temps. Elle vit comme ça depuis aussi loin qu'elle s'en souvienne, et la voilà coincée depuis quatre semaine dans cet endroit. Ses doigts tripotent sans y penser les friandises prises tout à l'heure au distributeur. Ces trucs sont tellement infects qu'elle prie le ciel de ne pas garder d'autre séquelle qu'un goût de rongeur crevé dans la bouche. Puis, avant même que son esprit ait pu retenir son geste, ses doigts pincent délicatement une des petits boules du sachet - ce qui a du être un genre de truc à base de noix un jour - et lancent le projectile avec une précision qui la surprend elle-même. Et la noix rebondit sur le mur au milieu d'une tache suspecte qui s'étale sur un peur qu'on ne peut plus vraiment qualifier de blanc. Elle ricane un bref instant. Ça lui rappelle l'époque lointaine où elle s'entraînait à lancer au couteau. Ces projectiles sont nettement moins dangereux - quoique, une fois avalés, elle se demande si elle ne préférerait pas les couteaux - et la voilà partie dans un joyau lancé de friandises. Jusqu'à ce que l'une d'entre elle décide de mener sa propre vie et d'aller s'écraser sur le nez de quelqu'un qui a le malheur de passer par là... Elle pose la main sur sa bouche et écarquille les yeux, partagée entre le rire et un soupçon de honte. « Jan ! Je suis désolée ! Je ne t'ai pas fait mal ? » Elle se lève dans un bond et vient d'un geste naturel lui frotter doucement le nez. Puis elle s'arrête, et l'expression sur le visage de l'autre candidat à raison de ses dernières barrières. Dans un éclat de rire, elle tend le sachet à Jan. « Pour me faire pardonner, tu peux en goûter un mais je te le déconseille. Ou alors, me rendre la pareille ! Ce sera comme les fléchettes, mais en plus marrant ! » Ok, elle débloque un peu là. L'enfermement ne réussit à personne faut croire.

Jan a pas l’impression d’être un gros flemmard en temps normal, mais depuis qu’il est ici, il a l’impression de fusionner avec les chaises au confort plus que discutable qui se trouvent au beau milieu de la salle d’attente. Faut dire qu’ils n’ont pas grand-chose à faire à part s’asseoir et attendre que le temps passe, alors Jan fait comme tous les autres. Encore, certains ont réussi à s’improviser des activités à base de papiers d’aliments du distributeur, ou de bouteilles de pet, mais il a pas vraiment le talent nécessaire pour jouer au foot ou au basket, alors il préfère regarder, seul dans son coin. Faudrait peut-être qu’il bouge à un moment ou à un autre, sinon cette histoire de fusion va bel et bien arriver. Et voilà qu’il se décide à se lever pour rejoindre le distributeur, son estomac lui rappelant qu’il est l’heure de souper. Mais s’approchant de la pièce cachant le fameux distributeur, voilà qu’il regrette bien vite de s’être levé quand il reçoit un projectile en pleine tête, qui l’arrête dans sa marche et le laisse interdit un court instant, jusqu’à ce que Salomé arrive à sa hauteur et qu’il puisse l’identifie comme l’auteur du délit. « Euh… non, non, j’ai presque rien senti… c’est plus surprenant que douloureux, hm. » Qu’il dit, en passant son doigt sur son nez après Salomé. C’est pas douloureux du tout, même en appuyant dessus, mais c’est vrai que c’est surprenant de se faire attaquer de la sorte. « On verra bien demain si j’ai un bleu. Et puis ça fait longtemps que j’en ai pas eu, fallait bien que ça revienne un jour ou l’autre. » Il rétorque en affichant un sourire. C’est vrai, il est habitué à avoir des bleus partout – bon pas forcément au visage – ainsi que des coupures et jusqu’ici, il a connu que les coupures au sein de ce château, fallait bien qu’il retrouve un jour ou l’autre ses vieux copains les bleus. Et voilà qu’elle lui tend le sachet en lui déconseillant de goûter le contenu – il va donc la croire – mais surtout en lui proposant de lui rendre la pareille. Elle est sérieuse, là ? « Non mais je vais pas t’envoyer une noix dessus quand même… » Il déclare, en fronçant les sourcils. Il va pas lui rendre la pareille, il veut pas lui faire mal, même si une noix n’est pas l’arme la plus puissante qu’il existe. « En plus j’ai jamais joué aux fléchettes donc je vais pas réussir à te viser, je pense. » Il avoue, en affichant un nouveau sourire. Même s’il le voulait, il n’arriverait pas à la viser, bien qu’elle ne soit pas à dix mètres de lui. « Euh ça va toi, sinon ? Tu supportes … bien d’être coincée là ? » Non parce que pour qu’elle lui propose de lui jeter des noix dessus, c’est que ça doit commencer à être dur.

En prenant deux secondes pour réfléchir à ce qu’elle vient dire, elle doit sonner comme la dernière des folles. Heureusement que Jan est gentil, sinon allez savoir à quelle réflexion bien sentie elle aurait eu droit. On mettra ça sur le compte de l’enfermement. Elle rirait bien de toute cette situation risible, mais elle ne doit déjà pas paraître bien saine d’esprit, alors pas la peine d’aggraver son cas. Il ne faudrait pas que Jan, qu’elle considère à son plus grand étonnement comme l’une des rares personnes auxquelles elle tient durant cette aventure, prenne peur et s’enfuie. Elle fixe quelques instants sa cible involontaire pour constater que le nez de Jan semble avoir survécu sans séquelles visible à cette noix volante. Bon, c’est déjà ça, au moins elle ne l’a pas scarifié pour le reste de sa vie. Imaginez les titres du prochain The Sun : ‘’une candidate de Thrown Dice défigure sauvagement un autre candidat à coup de fruits secs !’’ Bon. Restons calme, tentons de garder le peu de santé d’esprit qu’il lui reste. Il lui demande – et elle peut comprendre pourquoi – si elle supporte l’enfermement. « Je viens de te proposer de me jeter des noix dessus, et tu me demandes si je vais bien ? Tu es trop gentil. » Elle pouffe un instant. Puis perd son sourire et soupire légèrement. « Je vais… comme tout le monde je pense. Et toi, tu tiens le coup ? » Un demi-sourire doux étire ses lèvres. Il a la même tête que tous les autres candidats, les traits tirés, le regard vaguement perdu. « Les fléchettes ça s’apprend. Là on n’a que des noix, mais je peux essayer de t’apprendre si tu veux. » Bon, si c’est une tentative de paraître moins déjantée, c’est raté. Mais c’est pas comme s’ils avaient quelque chose de mieux à faire, de toutes façons.

C’est toujours surprenant de se faire attaquer de la sorte par une noix sauvage, mais même si c’était volontaire, Jan ne pourrait pas en vouloir à la personne à l’origine du lancer, vu qu’il n’est pas du genre à s’énerver. Mais encore moins face à Salomé, l’une des personnes qu’il apprécie le plus ici. Il sait bien que ce n’est pas volontaire de sa part, en plus elle s’est excusée rapidement, il n’y a pas de raisons pour qu’il se focalise sur le geste de sa camarade. Et il ne compte pas non plus lui rendre la pareille, non, c’est insensé à ses yeux. D’ailleurs, ça lui fait se demander si la jeune femme va bien, car on ne peut pas dire qu’elle semble très saine d’esprit, dans l’immédiat. « Bah c’est normal, non ? Parce que si tu me proposes ça, c’est que c’est pas la grande forme, alors ça me parait logique de te demander…  » C’est pas une question de gentillesse, mais de logique de son point de vue. Salomé lui indique par la suite qu’elle va comme tout le monde, et pour une fois il comprend où elle veut en venir. « Faut voir le bon côté des choses, ce sera super agréable quand on retrouvera le château ou notre chez nous. » Bien qu’il ne soit pas impatient de rentrer chez lui, au contraire, il aimerait bien passer encore un petit mois ici, voire plus. Mais même si son aventure est écourtée, il sera satisfait de retrouver le confort de sa modeste maison. Quant à lui, comment il se sent ? Bah, il fait avec. « Oui, ça va. Enfin, c’est clair que c’est pas génial d’être ici, mais je le supporte. » Il rétorque, en haussant les épaules et en affichant un maigre sourire. Malgré tout, le constat est plutôt positif jusqu’ici, bien qu’il tourne en rond et qu’il ait une multitude de questionnements qui lui occupent l’esprit, il n’a pas encore craqué malgré sa sensibilité. C’est une petite victoire, il a surpris des gens qu’il pensait plus fort que lui en train de pleurer ou de péter un plomb, alors oui, il le supporte plutôt bien. « Ah oui, je veux bien ! Par contre, on vise personne, hein. » Il déclare par la suite, avec un sourire un peu moqueur aux lèvres quand elle lui propose de lui apprendre les fléchettes. « On peut, hm, viser ce coin-là, où il y a la grosse tâche noire sur le mur, ça te va ? » Il demande en montrant vaguement le mur à l’aide de sa main droite. Il voit pas trop ce qui pourrait servir de cible mise à part cette tâche, à moins qu’elle se balade avec tout le matériel nécessaire pour jouer aux fléchettes, même s’il en doute. Piochant délicatement dans le sachet de noix, il s’en empare d’une avant d’essayer de viser la fameuse tâche… pour que la noix finisse par s’écraser au sol avant même d’avoir effleuré le mur. « Tu vois, je l’ai dit, je sais pas viser. » Il annonce en jetant un coup d’œil à Salomé, histoire de lui faire comprendre qu’elle va devoir se montrer patiente pour arriver à faire quelque chose de son élève d’un jour.