drown them all (22/07, 16:00)

Ils ont beau vivre en tas les uns sur les autres depuis plusieurs jours – et Dieu sait si ça se sent – dans la grogne et la mauvaise humeur, il y a une chose sur laquelle elle refuse de faire des compromis : l’hygiène. Visiblement c’est loin d’être le cas de tout le monde, puisque cette pièce sent à peu près aussi bon qu’une cage aux fauves. Ou alors simplement, c’est le fait d’avoir des gens vivre une semaine dans quelques pièces trop petites pour eux qui génère ça. Il n’y a pas des lois contre ça, d’ailleurs ? Même dans les pays de l’Est, pourtant souvent considérés par ici comme le fin fond des niveaux de vie possible, les conditions sont rarement aussi insalubres. Car c’est bien de ça qu’il s’agit, d’insalubrité. Enfin. Au moins il y a des lavabos. Le tout est de choper la bonne heure pour aller se rafraîchir, et elle a remarqué qu’à cette heure de la journée, les lavabos sont souvent inoccupés. Alors elle a pris le minimum nécessaire pour maintenir une hygiène acceptable, et elle a déboulé franc-battant dans ce trou crasseux qu’ils osent appeler « toilettes ». Juste à temps pour tomber nez-à-nez avec Holly, dans une tenue légère et qui visiblement a eu la même idée. Après deux secondes de blanc due à la surprise, un demi-sourire étire les lèvres de la Serbe alors qu’elle referme la porte derrière elle. « Toi aussi tu refuses de sentir le chacal ? » Elle entame la conversation naturellement, tandis qu’elle relève ses cheveux foncés en un chignon lâche pour dégager son cou, puis pose son gel douche et sa serviette sur un lavabo libre, et tourne le robinet d’un geste prudent. « L’eau n’est pas orange aujourd’hui ? Parce que hier je te raconte pas la tête qu’elle avait, c’était pas engageant. » ça pourrait être marrant, si ce n’était pas pratiquement leur seule source d’eau. Foutue production. Foutu divertissement.  

Là faut que j’arrête de me perdre dans mes pensées et me focaliser sur ce que je compte faire de ma journée. J’ai une certaine hygiène à maintenir donc je prends ma trousse complète avec moi et je parcours les mètres qui me sépare des toilettes pour croiser au bout Salomé qui, apparemment a eu le même élan que moi. « tu parles … » sentir le chacal c’est inadmissible. « je donnerais tout mon corps pour ne serait-ce … allez juste une douche ! Ou un bon bain bien mousseux ! » Roooh je frissonne de plaisir. Je commence à perdre la tête je crois mais ouais ; d’habitude j’aurais jamais bradé mon si jolie corps à ce point, mais là je le troquerais bien volontiers contre un putain de jacuzzi, même si bon, je pense pas que mon corps, dans son état actuel, puisse vraiment intéresser quelqu’un, hm. Donc faut soigner tout ça, et vite. C’est un pilier de ma vie l’hygiène, je badine pas avec ça et je peux pas me délaisser à ce point. Je fais très attention à me laver quotidiennement, même si là avec le matériel mis à notre disposition, c'est-à-dire un putain de lavabo qui sert pratiquement qu’à se laver la tronche, ça va être un peu chaud je crois. Mais bon on est des spartiates cette semaine faut tenir bon. « vas-y verrouille la porte, on en aura pour un bon moment je crois » ces mongolitos auront qu’a attendre que je termine je veux prendre tout mon temps, surtout que j’aime bien parler quand je fais ma toilette donc ouais je m’en fous carrément de créer un embouteillage derrière en réquisitionnant les toilettes. Qu’ils aillent se plaindre chez ce con de William, cette semaine je suis en mode pilotage automatique donc c’est pas mon problème si je me suis torchée le cul avec le manuel de la bonne cohabitation en société. Elle fait une remarque sur l’eau, mais je la rassure « de toute manière, si je gagne pas le jeu, je vais les poursuivre en justice » ouais ma chérie « dans le genre gros procès hyper médiatisé, des avocats payés à 1000 balles l’heure et William ainsi que toute son équipe de tarés en prison j’en ai rien à foutre » hm ouais, pour une histoire d’eau orangé, de plomberie, de salle d’attente et de sac de couchage, c’est très crédible, bien sûr … « et j’vais le gagner ce procès » dis donc pour une gueuse je suis sûre de moi. Je me lave le visage en parallèle « parce-que là c’est de la surexploitation. Les grandes instances dès que tu leurs sors les violons en jouant un requiem et dramatiser à fond sur les droits de l’Homme, ils commencent tous à paniquer comme des cons crois-moi » Holly, candidate de télé-réalité a free et elle a tout compris. Je tamponne ma tête avec une serviette, avant de jeter un regard complice à ma nouvelle compère en signant un petit clin d’œil au passage « au pire … je passe sous le bureau du juge, si tu vois ce que je veux dire » ça va nous économiser pas mal d’argent, et surtout du temps. Le temps c’est important. « Mais t'sais on aura besoin de beaucoup de salives, parce-que là c’est une grosse affaire quand même avec des millions sur la table. Le genre d’affaire où faut quand même sucer tout le magistrat, les jurés et beaucoup plus encore. » Donc ouais je la préviens pour qu'elle se prépare mentalement parce-que maintenant je l'ai embarqué avec moi dans mon délire de la nana révoltée. Et puis une remplaçante comme Salomé sur le banc de touche, qui me substitue quand je fatigue ou quand il le faut serait plus qu’utile on va dire. Même très conseillé je peux pas gérer tout le système judiciaire à moi toute seule faut pas déconner non plus. « mais bon je déconne » bah oui j’étais pas sérieuse, mon léger sourire l’atteste « on sait tous que je vais gagner » donc pas besoin de leur faire un procès, tout le monde à compris, hm …

Elle écoute d’une oreille distraite le babillage d’Holly. Elle veut qu’elle ferme la porte. Vu l’état général des portes par ici, pas sûr que ce soit une bonne idée, mais elle n’a pas tort non plus. Au moins c’est un peu d’intimité assurée pendant quelques minutes. Alors elle tourne le verrou, qui crisse dans un son tellement atroce qu’il lui arrache une grimace. « Bon. C’est fermé, mais il n’est dit qu’on sortira. » Au moins elles auront de l’eau, à défaut de mourir de soif elles mourront empoisonnées. Et elles mourront seules, ce qui vu le niveau d’occupation de l’endroit en ce moment fait figure de luxe rare. Et à en juger par le débit de parole de Holly, elles ne mourront pas non plus en silence. Non pas que ça dérange particulièrement Salomé. Elle fait partie de ces gens qui parlent peu et n’ont aucun problèmes à écouter, alors il faut croire que là-dessus, elles s’accordent plutôt bien. Elle tourne le robinet et l’eau fraîche se met à couler. Bon, dire qu’elle n’est pas limpide serait une litote, mais au moins elle n’a plus orange. La Serbe se rince le visage à l’eau claire, un peu inattentive il faut bien le dire à ce que raconte Holly. Ce babillage incessant est agréable, parce que paradoxalement, depuis qu’ils sont tous enfermés ici, il fait étrangement silencieux. Tout le monde se morfond, seul ou en groupe, mais le moral est au trente-sixième dessous. Elle relève les yeux vers le miroir usé en face du lavabo. Elle n’est déjà pas colorée à la base, mais là on dirait qu’elle a été maquillée pour un de ces films de vampires pseudo-romantiques. Comment ça s’appelle ces trucs, déjà ? Oh, soit. L’idée est là. Son cerveau décide de reconnecter avec ce que raconte Holly juste à temps pour l’entendre lui expliquer comment elle compte s’arranger avec la justice. Salomé tourne la tête et regarde la blonde avec perplexité. « Vraiment ? Pas la peine d’en venir à de telles extrémités. » Pourquoi se dégrader à cela ? Ce n’est pas son style. Pas du tout. « Il existe des moyens alternatifs, et tout aussi efficaces. En Serbie, on s’est spécialisés là-dedans. Tout le monde aime bien garder… tous ses morceaux, dirons-nous. Un coup de pince bien placé peut arranger beaucoup de choses. Il suffira de leur faire une proposition qu’ils ne pourront pas refuser. » Si elle commence à placer des répliques du Parrain dans la conversation, ça risque de rapidement glisser, et pas en bien.  Ses lèvres dessinent un sourire pas tout à fait rassurant, et finalement un léger rire la gagne lorsque Holly précise qu’elle plaisante. Sans blague ?! Elle la prend pour une idiote à ce point ? Tsss. « Tu vas gagner, mmmmh ? J’aimerais bien te voir essayer. » Ses traits s’adoucissent, parce qu’elle ne fait que la taquiner, et elle ne veut pas qu’Holly prenne la mouche. Quoi qu’elle ait l’air d’avoir assez d’humour que pour saisir la nuance et ne pas lui sauter à la gorge. « Alors c’est ça que tu es venue chercher dans cette aventure ? La gloire et l’argent ? » qu’elle ajoute, malicieuse, mi-sérieuse.